Boris Garanger est un voyageur. Sa peinture, puissamment lumineuse, se joue des époques, des frontières entre figuration et abstraction… Débordant largement du cadre de la peinture, son travail s’aventure aussi du côté de la sculpture, des installations ou de la BD. Rencontre dans son atelier, quelques jours avant son exposition « Voyages initiatiques » à la Maison Rigolote à Laval.

 

Il y a des tableaux partout. Entreposés à même le sol ou bien habillant les murs du grand atelier de Boris Garanger. Un ancien appartement que le plasticien loue au second étage de la mairie de Saint-Hilaire-du-Maine, petite bourg de 800 habitants où il habite, au nord-est de Laval. En les découvrant physiquement, on prend toute la mesure de ces œuvres que l’on avait jusqu’alors pu voir seulement sur le site web de l’artiste. Aucun écran ni reproduction ne peuvent restituer la puissance, la vitalité et la force immersive de ces toiles, mesurant souvent plus d’1 mètre par 2. Sans parler de la luminosité de ces peintures à l’huile, que l’on dirait éclairées de l’intérieur, ou de la vibration intense que génèrent les couleurs de sa palette : jaune presque fluo, violet dense et lumineux, vert turquoise, bleu azur ou bleu de Prusse à la profondeur abyssale, rose bleuté aux teintes pures comme un ciel matinal…

Sur l’un des murs de la pièce où Boris Garanger dessine (la seconde grande pièce de l’atelier étant dédiée à la peinture), une toile, titrée « Horizon endémique », aimante les regards. Au premier plan, pose un personnage à tête de cactus, revêtu d’une combinaison de protection chimique dont les drapés semblent faire écho aux peintures classiques de la Renaissance. En arrière-plan, un paysage désertique et rocheux, dont certaines zones semblent s’être dissoutes en un aplat de couleur gris fondu, tandis que l’horizon et le ciel paraissent avoir perdu tous sens des règles élémentaires de la physique. Notre monde se dérègle, se fissure… Une anxiété sourde, une menace diffuse et invisible planent, comme souvent dans les œuvres de Boris Garanger.

« J’aime avoir mes peintures autour de moi, pour continuer à les regarder, à prendre du recul sur mon travail  » 

Entre références classiques, coulures et couleurs éclatantes façon street art, « flous » qui évoquent parfois les œuvres du maître Francis Bacon, transparences rappelant le peintre français Marc Desgrandchamps… Le plasticien brouille les repères temporels et styliques, confond abstraction et figuration, réalisme et onirisme, à la recherche d’un équilibre qu’il ne cesse de parfaire, revenant sur ces toiles parfois des années après leur création…

« J’aime avoir mes peintures autour de moi, dans mon atelier, raconte-il. Cela me permet de continuer à les regarder, à prendre du recul sur mon travail ». Être au milieu de ses œuvres lui permet aussi de créer une bulle rassurante et familière, propice pour se couper du réel et se plonger dans un travail introspectif. Car les peintres comme les écrivains sont des coureurs solitaires, seuls face à eux-mêmes pour affronter la « page » blanche et défricher leur propre chemin.

Loin des plateaux de théâtre qu’ont arpenté ses parents, tous les deux comédiens professionnels, cette solitude semble bien convenir au tempérament de ce grand garçon brun qui se décrit comme « timide ». Pourtant, le trentenaire, dont la réserve cache mal un caractère sincère, ouvert et entier, a longtemps cherché sa voie avant d’opter pour le métier d’artiste.

Brouiller les pistes

Après quatre années d’études aux Beaux-arts, qu’il a quitté en cours en 2009, se sentant étranger aux « codes de l’art contemporain », il va bourlinguer pendant près de 10 ans, roulant sa bosse de la Suisse au Canada, de Madagascar aux USA. Boris enchaine les petits boulots, travaille dans le bâtiment, apprend le métier de métallier-serrurier qu’il exercera quelques années… Avant que la passion du dessin ne le rattrape et ne le décide à embrasser la vie d’artiste.

En 2017, retour en France et début d’une nouvelle aventure. Il s’installe d’abord en région parisienne, où il déniche un atelier et apprend à peindre. Deux années lui seront nécessaires pour trouver sa propre « manière », son identité artistique qui très vite va rencontrer une reconnaissance professionnelle. Le jeune peintre est sélectionné, parmi des centaines de candidats, pour participer à de prestigieux salons ou prix, qui lui offrent l’opportunité d’être exposé à Venise ou au Grand Palais à Paris. Une galerie le repère et le représentera pendant plusieurs années, faisant monter sa côte sur le marché de l’art.

Alors que d’autres auraient creusé et approfondi inlassablement le même sillon, lui, au risque de brouiller encore un peu plus les pistes, multiplie les expériences, guidé uniquement par sa curiosité, son goût pour l’expérimentation et les terra incognita. Loin de tout calcul et plan de carrière, se fichant des conventions du monde très cloisonné des arts visuels, il glisse, tel un passe-muraille, d’un milieu, d’un medium ou d’un technique à l’autre : paysages croqués sur le vif lors de concours, portraits à l’encre de chine d’exilés (sujet récurrent dans son travail), fresque murale en mode street art, scénographies pour le spectacle, sculptures souvent réalisées avec des matériaux de récupération ou bien installations in situ, à l’image de « Dystopique », impressionnante exposition au Reflet à Saint-Berthevin en 2024, où des sculptures faites uniquement de livres investissaient l’espace : arches, portes ou ponts synthétisant d’un même mouvement beauté plastique, prouesse technique et geste poétique hautement signifiant dans ce lieu de culture.

Depuis quelques mois, Boris Garanger s’attelle à une nouvelle aventure : la création d’un roman graphique, dont le scénario est signé par Pauline Sales, comédienne, metteur en scène et dramaturge reconnue, auteure d’une vingtaine de pièces de théâtre. L’histoire, qui met en scène une thanatopractrice évoluant dans le milieu des teufeurs et des travellers, s’invente au fil de l’écriture, dans un jeu de ping-pong créatif dont les deux auteurs ne connaissent pas encore l’issue. L’aventure continue.

Playlist

1 – The Blaze – Territory

2 – Webb Pierce – More and more

3 – Souffrance – Au milieu des ombres

4 – La Rue Kétanou – Où je vais

 

Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme: interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité. 

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