Après une première émission en 2023 (pour fêter la 10e compilation Tranzistor), retour sur le spacieux plateau du Théâtre Les 3 Chênes à Loiron-Ruillé, qui pour l’occasion affichait complet ! Au menu : trip-rock cinématographique avec Wardenclyffe, punchlines incendiaires avec Brasier et électro-folk solaire avec Mountaiin.

 

Leur osmose se voit et s’entend. Les musiciens de Wardenclyffe se connaissent et jouent ensemble depuis près de 20 ans. Au début des années 2000, les quatre potes sévissent au sein de Los Tick, groupe de punk-rock rigolard et déjanté. Après une longue pause, Gilles Garault (guitare, claviers, chœurs), Miguel Brière (batterie), Arnaud Alexandre (basse, claviers, chœurs) et Arnaud Babin (guitare) décident en 2020 de remettre le couvert, bientôt rejoints par Armande Léon au chant.
Petit à petit, répétition après répétition, Wardenclyffe forge son identité. Les guitares sont au rencard (le groupe cite Radiohead, Grizzly Bear ou Arcade Fire parmi ses références), tandis que des claviers planants, des boucles rythmiques obsédantes et une basse prédominante confèrent aux compositions du quintet des accents electro ou trip hop, évoquant parfois Portishead ou Massive Attack (autre influence revendiquée).
Mais qu’importent les étiquettes. Propulsée par une batterie métronomique, la musique cinématographique de Wardenclyffe se déploie comme une vague, au gré de laquelle on se laisse doucement dériver. Les repères spatio-temporels s’effacent… Une tension plane, qui maintient le suspense, sans que jamais l’explosion ne survienne. En live, le son du quintet déploie une belle ampleur, et les morceaux, joués avec une précision millimétrée, diffusent une mélancolie enveloppante qu’infuse le chant d’Armande, puissant et vibrant de sensibilité. Les émotions affleurent, exhalées par cette musique à la fois profonde et vaporeuse que l’on espère pouvoir bientôt réécouter sur disque : le groupe prévoit son premier enregistrement studio courant 2025.

 

« Je suis assez peu sujet au trac en général », confie Nicolas Boisnard, alias Brasier, quelques minutes avant de monter sur scène. Mais si les concerts d’Archimède, avec lequel il écume depuis plus de 10 ans les scènes hexagonales, ne procurent au chanteur aucune appréhension, avant les shows en solo de Brasier, il avoue ressentir une certaine pression. Et pour cause : quand on est seul sur scène, avec tous les regards braqués sur soi, pas le droit à l’erreur, à la langue qui fourche, au trou de mémoire. Et l’exercice est d’autant plus ardu que, question textes, il y a du contenu ! Quand les chansons pop d’Archimède tiennent en plusieurs strophes, les lyrics de Brasier couvrent parfois quelques pages.
C’est d’ailleurs de là qu’est né Brasier : du besoin de donner libre cours à une écriture au long cours, que n’autorise pas le format chanson, a contrario du rap ou du slam.  Cependant, lorsque Nicolas Boisnard cite ses références, pas de rappeur au rapport, mais des écrivains ou des philosophes, parmi lesquels Cioran, Schopenhauer ou Houellebecq. Pas vraiment des comiques, ni des garçons légers… Le chanteur assume : Brasier, il le voit comme un contrepoids d’Archimède, un projet « défouloir » aux antipodes de la « chanson pop fraternelle » du duo lavallois. Un geste cathartique et libérateur où il se métamorphose en rhéteur cynique et cinglant, jetant, à coups de punchlines incendiaires, un regard clinique et lucide sur la médiocrité de nos petites vies, disséquant en détail les doutes et sombres pensées qui l’assaillent.
Attention cependant à ne pas confondre : Brasier, ça n’est pas Nicolas Boisnard ! Mais une construction volontairement caricaturale, un personnage à qui il donne vie sur scène, fort de sa solide expérience, de sa présence et de son charisme. Diction parfaite, placement rythmique impeccable, la musique des mots capte l’attention, maintient la tension… À cette musicalité des textes répond celle des instrumentaux, dont la production abrasive et très actuelle confère aux morceaux une modernité bienvenue. Tandis que par ses textes, Brasier revendique « être à contre-courant de l’air du temps » et de cette époque dont il se moque allégrement.

 

« What I can do whith my hands » ? Cela commence par ces quelques mots murmurés, qu’accompagnent des accords de guitare étouffés et le souffle d’un orgue fatigué. Puis entre la batterie, groove souple et délié… Et soudain le concert de Mountaiin s’envole, pour ne plus jamais perdre de l’altitude.
Avec ce nouveau duo, dont il s’agissait seulement du second live, Pierro Le Feuvre ajoute une casquette à sa collection déjà bien fournie de couvre-chefs. Depuis quelques années, l’ex-chanteur de La Casa multiplie en effet les aventures : en solo avec Mazarin, en duo avec le dessinateur Alexis Horellou pour le bd-concert « À la croisée des chemins », ou en trio avec Grand Hôtel… Il adjoint donc aujourd’hui à cette liste Mountaiin, créé il y a quelques mois avec le batteur Corentin Visse.

À l’origine, ces chansons n’auraient jamais dû sortir du home studio de leur géniteur. Dans les compositions de ce projet, qu’il envisageait au départ comme « purement récréatif », le quadra met, sans calcul ni interdit, tout ce qu’il aime, à commencer par son tropisme pour les musiques du grand ouest américain, entre folk, country et musique mexicaine mariachi. S’y mêlent aussi pêle-mêle guitares électriques cra-cra comme il se doit, synthés vintages grésillants, samples vocaux et beats electro bondissants. Un peu comme si Ennio Morricone jammait avec Calexico ou Grandaddy, sous l’œil bienveillant de Neil Young et Ceronne.

Côté paroles, le chanteur délaisse le français pour jongler entre espagnol et anglais. « Contrairement à Nico (Brasier), les textes sont rarement le point de départ de mes chansons, raconte Pierro, ce que j’aime avant tout c’est composer des mélodies ». Avec des morceaux comme le bien-nommé « Montana » ou « Our life is crashing », sommets de ce live, il démontre une nouvelle fois son indéniable savoir-faire à trousser des tubes hors-pairs. Des qualités de songwriter que complète à merveille l’efficacité tout en finesse du jeu de Corentin Visse. Avec ses 20 ans de moins, le batteur apporte au projet une spontanéité et une fraicheur qui explosent sur « Ooh », titre final en forme d’apothéose, où le désert du Nouveau-Mexique prend des airs de dancefloor volcanique.

 

Une émission proposée par Mayenne Culture, en partenariat avec Le Théâtre Les 3 Chênes / Laval agglomération, L’Autre radio et L’Œil Mécanique.

 

Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme : interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité.

Partager sur les réseaux sociaux