D’aucuns prétendent que c’est le « meilleur festival du monde ». Invité lors de l’édition 2005, Rubin Steiner himself l’aurait dit… Difficile tout de même de ne pas voir là une once de chauvinisme. Un orgueil mal placé, sans doute, mais dont nous avons, nous autres mayennais, bien peu souvent l’occasion de témoigner… S’il me paraît difficile d’avancer comme ces bénévoles et spectateurs rencontrés les 28 et 29 juillet derniers, qu’il est le meilleur des festivals, je dois concéder que le festival des 3 Éléphants est mon préféré parmi la petite demi-douzaine que je fréquente chaque année. Il faut dire que j’ai renoncé aux bains de foules festivaliers et que je reste insensible au charme (discret sans doute) des concerts vu à 20.000, de loin, sur un écran géant… Question intimité, on fait mieux. Mais revenons à nos éléphants ! Justement si on les aime ces pachydermes, ces parce que les 3 éleph’ (comme on dit là-bas) restent un « petit » festival, sans bousculades, ni bouchons… Le site, décoré et mis en scène, offre de l’espace, des recoins, des surprises. On peut s’amuser à le visiter, l’explorer, le parcourir avec plaisir… remarquant en habitué les évolutions, nouveautés, transformations du site… Mais surtout, ce qui fait du festival de Lassay notre festival de prédilection, c’est sa programmation. Un sans faute, ou presque, avec des musiciens parfois rares, souvent échappés de la liste des « écumeurs » de festivals. Obéissant d’abord à des choix « artistiques », la prog des 3 éléph’ ne cède rien aux impératifs économiques qui, trop souvent, sont synonymes d’affiche « fourre-tout » et sans âme.
Le programmation donc ! On y vient. Commençons par les « découvertes » (enfin je parle pour moi, le terme de « découverte » restant très subjectif). Remplaçant au pieds levé un K’naan aux abonnés absents, le rappeur Rocé nous fait oublié le rappeur canadien par son assurance, sa sérénité et son débit. Petite déception, il était seulement accompagné d’un DJ, alors qu’on espérait le voir entouré d’une formation « live ». Sur son récent second album, il privilégiait en effet les collaborations avec des « vrais » musiciens, notamment issus du free jazz. Libre de toute convention, son hip hop sonne vrai. Et son flow, rapide et pourtant parfaitement clair, surprend par sa musicalité. Ses mots percutent et impriment à la fois leur sens et leur rythme en nous, parlent à notre corps comme à notre tête. J’aime lorsque j’écoute du hip hop, pouvoir comprendre, entendre, ce qu’on me dit. Voilà sans doute pourquoi les concerts de La Caution et des Gourmets, les deux autres groupes de rap programmés au 3 Éléphants cette année, m’ont vite fatigué. Malgré l’indéniable qualité des « instrus » et des rappeurs de ces groupes, le manque de clarté de leur flow, l’excès de refrains un peu lourdingues (pour les premiers) et de productions electro « trop spé tu vois » (pour les seconds) ont eu raison de ma concentration (déclinante en fin de soirée, il est vrai).
Totalement instrumentale, la musique inclassable de Gong Gong évite ce genre d’écueils, mais a éprouvé quelques difficultés à soulever l’adhésion d’un public étrangement calme. Trop attentif peut-être au cheminent tout en progressions subtiles, montées inattendues et virages discrets de ce mariage entre hédonisme techno et énergie rock. Ou alors les esgourdes un peu trop esquintées en cette fin de soirée pour entrer dans cette musique qui ne tombe dans aucune facilité. Le duo nanto-poitevin préfère sans doute laisser les grosses ficelles à d’autres.
Para One (le musicien qui se cache derrière TTC) en abuse lui des grosses ficelles, du genre vieille montée téléphonée, blanc et paf ! Gros pieds basse qui fait boom… Mais s’il en use le saligaud, c’est pour mieux jouer avec, les malmener, et nous avec, pauvres danseurs. Masochistes, on y prend goût, retenus par ses recherches sonores, sa science du beat, et pestant contre sa propension, frisant parfois la prétention maniérée, à saborder ses morceaux et à faire languir un public avide de beats.
Il faut dire que quelques temps avant, Winston Mc Anuff and the Babaz Orchestra nous avaient ouvert l’appétit. Ce groupe offre un spectacle détonnant qui fait se rencontrer un vieux rasta et un groupe de blanc-becs survoltés (dans lequel on retrouve Camille Bazbaz et Yarol Poupeau de FFF), pour un mélange inédit de reggae roots et de rock blanc. Et tout cela marche à merveille. Winston Mc Canuff vocifère dans son patois jamaïcain, tandis que Bazbaz nous achève à coup de claviers vintage plus classes tu meurs ! Une machine folle, prête à tous les dérapages, sans se départir de son groove impeccable. Novatrice ou pas, originale ou pas, leur musique, ce soir-là, était démoniaque… Du moins pour moi, et, au regard de leur sourire, pour ceux qui m’entouraient.
Du coté des « gens connus » (ceux que l’on a pas découvert quoi !), Katerine fut à la hauteur de son personnage, dandy et deschien à la fois, Houellebecq et Benny Hill en un seul homme. Son groupe est impeccable. Musicalement comme scéniquement. Son bassiste, chauve, enroulé dans un « renard », est particulièrement comique. Sa musique légère et sans prétention, avoue son idiotie, mais cache mal son érudition et sa folie. Katerine est dans l’air du temps. Tant mieux pour nous comme pour lui.
Moins à l’aise en festival, son ami chanteur Dominique A ouvrait la soirée du vendredi devant un public déjà nombreux. Les fans sont là. Et Dominique A ne déçoit pas. Aérées et calmes sur disque, ses chansons se font plus dures, plus rock sur scène. On sent ses musiciens très concentrés, comme tendus, émus par l’enjeu, le désir de faire vibrer cette musique à l’unisson, de la porter le plus haut possible, de souligner son étrangeté dans le monde bien policé de la chanson française. Car, c’est encore plus évident sur ce type de festival : les chansons de Dominique A ne ressemblent à aucune autre.
Peut-être moins originale, la musique de la new-yorkaise Sharon Jones s’inscrit dans la plus pure tradition soul funk américaine. Mais quel groove ! Elle ferait danser le twist à Edouard Balladur et renvoie James Brown aux vestiaires question jeu de jambes. Show à l’américaine, costards cravates impeccables et orchestre hyper classe (hum la section cuivres ! Ouf le son des guitares ! Aaargh cette section rythmique !), Sharon Jones and the Dap Kings constitue une des machines à groover les plus efficaces qu’il m’ait été donné d’entendre. Ouais, monsieur ! Rien que çà. Dommage qu’on est pas eu le droit au moindre rappel…
Enfin pour finir cette chronique longue comme l’ascension du Tourmalet, quelques mots des régionaux de l’étape, Montgomery et Tez. Les premiers nous ont servi leur pop déglinguée et ironique en ouverture de la soirée du samedi. Leurs morceaux, souvent truffés de breaks, de virages à 180° et de variations un peu tarabiscotées font parfois l’effet d’une jolie fille trop maquillée, que l’excès de fard enlaidirait… Ou d’un gâteau très bon mais surchargé. Bref, parfois, à certains concerts, on frôle l’indigestion. Mais ce soir-là, ils étaient en forme. La grosse frite même, qu’ils avaient les gars ! Sans doute se sentaient-ils soutenus par le public assez dense qui s’était rassemblé pour assister à leur prestation. Toujours est-il que jamais je n’avais trouvé le groupe aussi assuré de son originalité, de la cohérence de sa paire rythmique, assumant sa folie douce et la voix atypique et profonde de son chanteur… Montgomery a tout d’un grand groupe. On ne leur souhaite qu’une chose : le devenir.
C’est qu’est en passe de réussir Tez, que le festival avait invité le vendredi et le samedi soir. Beat boxer à la technique incroyable (capable de reproduire seul avec un micro le son d’un groupe entier), il collabore depuis peu avec les américaines de Coco Rosie et le musicien français Spleen, aux côtés duquel il avait d’ailleurs participé aux 3 Éléphants en 2005. Désormais attendues par le public ses prestations ont comblés les fans et bluffés une de fois de plus les néophytes (« mais comment il fait pour faire çà ? »). Toujours à la recherche de sons inédits, il expérimente sans cesse les nouvelles possibilités que pourraient lui offrir le seul instrument dont il dispose : son corps. Tez impressionne, tant par sa virtuosité quasi surhumaine que par la force et le magnétisme de son jeu de scène. Le vendredi soir, lorsqu’il accompagnait sur un morceau l’excellent groupe de beat-boxers autrichien Bauchlkang, le public du chapiteau est devenu fou. Un moment magique, sommet de ces deux jours à part, vécus un peu ailleurs, dans ce petit monde en soit que devient, le temps d’un week-end, le site du festival.
Décidément, ces 3 Éléphants ont une âme. Et une belle.
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