J’étais venu pour elle. Valait mieux ne peut arriver en retard : Emily Loizeau ouvrait le bal. Etre la première artiste à essuyer les plâtres d’un festival est une tâche toujours difficile, surtout qu’il s’agissait d’essuyer la boue d’une semaine arrosée. Heureusement, le saint Foin ne porte pas ce nom pour rien, et la paille (répandue sur le site par les organisateurs) a fait des miracles. Si bien qu’avec un rayon de soleil, comme un printemps de Walt Disney, les festivaliers amateurs de belle chanson plutôt que de bières sur le parking ont pu profiter de ce concert en tous points charmant. Emily Loizeau possède une voix à la fois enfantine et mutine, chaude et fragile. Elle en joue. Comme dans ses paroles, qu’on croit légères et qui parlent de suicide… Ce qui est agréable, c’est qu’elle donne l’impression d’être là pour nous : elle discute, raconte des histoires, et s’amuse avec le public qui le lui rend. « C’est la dernière ! Noooon ! Siiiiii ! Noooon ! Siiiii ! » Ah, ces gosses… Emily Loizeau a sorti son album après des paquets de concerts ; pas avant. Et on le ressent : elle est à l’aise sur scène, finit souvent debout devant son piano. Elle doit se dire parfois que l’accordéon serait plus pratique. Avec toutes les riches collaborations sur son album, on aurait pu craindre que la scène paraissent dépeuplée. C’est tout le contraire. Ils sont trois devant nous sans que cela paraisse limité.
D’autres qui ont l’air contents d’être venus, ce sont les deux faux fous furieux de Bumcello qui livrent un show chaud à la hauteur de leur réputation. Le violoncelle trafiqué, samplé, distordu, retourné de Vincent Segal. Et les percussions ahurissantes de l’increvable Cyril Atef qui chante, saute, se déguise. Quant au style, je cherche quelqu’un pour m’aider à le définir : afro beat, rock, electro, orientalo-Foin de la rue, puisqu’il paraît que tout ceci était improvisé, « 100% impro » qu’y disent. Bumcello, c’est l’énergie et la musique, la ferveur avec l’exigence, un Ovni pourtant accessible. Bon d’ailleurs, à cette heure-ci, il commençait à y avoir un peu trop d’Ovnis bourrés qui se baladaient dans le public, alors j’ai décollé.
Le lendemain, le rude boulot d’ouverture était confié à Adrienne Pauly. Un joli minois, une belle gouaille, un bon contact avec le public… Sur scène, elle y va, fait l’amour avec son pied de micro. Mais bon, sa musique teintée de rock ne m’a pas autant touché que celle de sa collègue du vendredi. Voilà.
En revanche, le spectacle de Java ne se dément pas, présenté comme un match de boxe en trois rounds. Les festivaliers ont d’abord entendu le chanteur RWan en solo, qui a cédé le micro à « electric dreadlock » Winston McAnuff, accompagné par Java. Pour le dernier round, RWan reprenait la main avec Java. On a dit rap musette pour donner une étiquette, mais c’est bien plus. En une heure et demie, on entendu de la transe afro, du ragga licencieux, du Renaud en verlan, de la valse pure, oui, du rap mais écrit comme du Bobby Lapointe, de la chanson quoi, drôle comme tout, avec un flow pas possible, et évidemment avec Winston, du reggae, mais aussi des thèmes soul, r’n’b loin de tous les clichés. Et du spectacle, ils en donnent. Java aime se déguiser. Cette fois-ci, y a Dieu qui descend sur scène. Et y a un public qui finit en feu. Je suis content de voir ça en terre mayennaise, qui ne m’a pas habitué à tant de ferveur. Bon, là aussi, certains avaient pris la chanson au pied de la lettre. « Allô la Terre ? Le contact est Brouilly… je vous reçois que deux demis sur zinc… » (Sex, accordéon et alcool). Et le lendemain, probable qu’ils ont dit : « Je suis rentré du cosmos mais j’ai gardé le scaphandre ».
Ça n’a pas empêché d’apprécier les Belges de Zita Swoon. « Belges », ça veut dire Ovni en français, c’est pour éviter de me répéter. Encore un groupe inclassable. Ça part classique en chanson folk-rock à la mélancolie si caractéristique des gens du Plat Pays, et puis va savoir comment, ça dérive, la tension monte, on frôle le reggae, on arrive dans des rythmes plus afro, soutenu par deux choristes. Y a du monde sur scène, de la ressource. Un beau moment de musique.
Ce qui fait plaisir aussi, c’est que même pour le tout dernier concert (Elisa do Brasil) l’enceinte est noire de monde. Je redescends au petit chapiteau qui m’aura valu quelques-unes des plus belles découvertes du festival, dont Orange acoustic, fanfare klezmer-jazz-funk à la pêche d’enfer ! Et pour les locaux, les Fils Canouche, leurs guitares swing et leurs sandales chaussettes ont foutu un joyeux bazar comme d’hab, et on aura vu une des premières grandes prestations « live » de l’Entourloop avec DJ Raincut, invité aux platines. Un set électro qui promet.
Bon, mais je garde le meilleur pour la fin… la faim : c’était le boeuf bourguignon. Oh lord ! C’était à tomber par terre ! Merci les madames de la cuisine. Bien sûr, il y a eu un max d’autres pépites à Saint-Denis-de-Gastines, mais je vous l’ai dit, ça, c’était mon festival. J’espère que le vôtre était bien aussi.
Ouaip ! Le nôtre, enfin le mien…, n’était pas mal non plus. Je dirais même plus, cher confrère : je crois bien avoir assisté cette année à « ma » meilleure édition d’Au foin de la rue. Super déco comme d’hab’ (mieux que d’hab’ même !) et programmation réussie. Les fans des « grosses » locomotives (Mano Solo, CirKus, Elisa Do Brasil, No one is innocent) ont été comblés par leur prestation, moi un peu moins mais bon…, ici on préfère parler de ce qu’on a aimé. Un petit mot tout de même sur CirKus, dont le live un tantinet brouillon ressemblait davantage à une répétition qu’à un concert digne de ce nom. Sans doute Neneh Cherry et ses comparses étaient-ils desservis par le son de la grande scène, également mauvais pendant le concert de Mano Solo, mais un manque de préparation scénique flagrant (les musiciens semblaient chercher leur place sur scène) et des arrangements lourdingues ont aussi desservi les chansons du pourtant très bel album de Bristoliens. Musclées à la va-vite, à coup de guitare électrique et de boîte à rythmes sans saveur, les mélodies délicates et downtempo de Laylow ont bien mal passé l’épreuve de la scène. Dommage…
Peut-être les Anglais auraient-ils pu s’inspirer du set de Wax Tailor, qui le lendemain a livré un concert impeccable. Certes, l’espace de la petite scène paraissait parfois un peu vide (un vide que ne venaient pas combler des vidéos peu inspirées). Certes, l’adaptation de dernier album du Normand (débordant de featurings prestigieux) n’était pas totalement satisfaisante… Mais la musique sonnait du feu de dieu ! Wax Tailor est un fameux faiseur de beats, qui ferait hocher la tête en rythme à un banc de pingouins autistes. Malgré le contexte festivalier, il ne cède pas aux sirènes de la gonflette : ici pas de gros beats qui tâchent et autres facilités. Wax Tailor reste fidèle à la tonalité de ses disques. Pari réussi, si l’on en croit les réactions du public massé en nombre devant la scène. Grosses caisses qui claquent, beats ravageurs, arrangements fins et mélodies qui collent au cerveau, la formule touche à la perfection, en particulier lorsque la voix de Charlotte Savary vient se mêler à la flûte et au violoncelle des deux autres musiciennes qui accompagnent Wax Tailor en concert.
Autre « pépite » marquante de « Mon Foin 2007 » à moi, et manquant au palmarès de mon prédécesseur : le concert de La Casa. Très loin de leurs premières prestations live, les gars de La Casa ont trouvé leurs marques. A l’aise, presque trop démonstratifs même, ils ont fait la preuve que leurs chansons bricolées et électroniques tiennent la route sur scène. Plus d’hésitations entre fiesta et chanson posée, le trio assume pleinement sa nouvelle orientation musicale, à l’image des premiers morceaux du set que Pierro chante assis au piano. Pour ce concert sur leurs terres, ces enfants du pays avaient prévu une surprise : leur « orchestra » à eux (une section cuivres de six musiciens) venu les rejoindre à mi-parcours. Ré-arrangées par le tromboniste Daniel Casimir (qui a d’ailleurs profité de l’occasion pour jammer avec Bumcello plus tard dans la soirée), leurs chansons gagnent en nuances et en couleurs, prennent le large et de l’étoffe. Avec l’Orchestra, La Casa prend des airs de palace. Carrément classe !
Enfin, je l’accorde à mon cher confrère, il me fût très agréable d’écouter les concerts de Java & Cie, Winston Mc Annuf, Emily Loizeau et Zita Swoon (sans doute l’un des plus groupes les plus unis qu’il m’ait été donné de voir sur scène ces derniers temps, quelle cohésion, quelle puissance !). Je tenais à remarquer cependant que la Miss Pauly m’avait plu, à moi ! Certes la couleur très rock qu’elle donne à ses chansons manque d’originalité mais le personnage est tout de même assez extraordinaire, vous en conviendrez cher collègue ! Imprévisible, très à l’aise sur scène, elle joue de son charme et de sa théâtralité pour vous mettre dans sa poche. Passant sans transition de l’enfant naïve à la vamp vénéneuse, de la garce à l’ingénue, Adrienne est un spectacle de music hall à elle toute seule. Entre Baby Doll et Edith Piaf, la synthèse est plutôt originale et réussie. Cette fille a des ovaires !
Une déception peut-être ? Ne pas avoir goûté au boeuf bourguignon tant vanté ci-dessus ! Tant pis, ça sera pour l’année prochaine. Car, c’est certain de ce foin-là, on en remangerait !
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