Une page de l’histoire des musiques actuelles en Mayenne se tourne avec le départ de JEFF FOULON, co-directeur du 6par4 et co-fondateur du festival Les 3 Éléphants. Itinéraire d’un enfant du rock, bâtisseur autodidacte qui avance au feeling et carbure au défi.
Jeff Foulon est un enfant de Bernard Lenoir. Comme nombre de filles et garçons de sa génération, ados dans les 90’s, il se branche tous les soirs sur France Inter pour écouter « l’Inrockuptible » et ses « musiques pas comme les autres ». Le jeune Lasséen dévore les disques des Pixies, des Beastie Boys et de Nick Cave. Objecteur de conscience à Rennes en 1996, il rencontre par hasard les membres d’une association organisatrice de concerts, Patchrock, avec qui il s’initie aux rudiments du « métier ». Le jeune Jean-François fréquente aussi le festival de La Route du rock ou le Festirock à Couternes, à quelques encablures de Lassay-les-Châteaux.
Inspiré par ces exemples, il se lance avec une bande de copains dans la création d’un festival à Lassay. Petit bijou médiéval avec ses trois châteaux et sa magnifique roseraie, cette petite cité aux confins de la Mayenne et de l’Orne offre un cadre idéal à l’événement. D’autant que la ville accueille depuis de nombreuses années un son & lumière très couru. Une institution à l’organisation de laquelle tout le village met la main à la pâte. Dont les parents de Jeff, qui a toujours baigné dans cette dynamique bénévole associative.
Pas besoin donc de longs discours pour embringuer dans l’aventure la mairie et les forces bénévoles du coin : accueillir plusieurs milliers de personnes avec restauration, buvette et tout le tralala, ils savent faire. Pour le reste, Jeff et ses potes se débrouillent, et apprennent sur le tas. Très éclectique, la programmation des 3 Éléphants suit dès sa 1re édition, en 1998, une ligne exigeante dont ne dérogera jamais Jeff : ne pas céder aux sirènes du remplissage, éviter les têtes d’affiche racoleuses, favoriser les artistes qui prennent des risques, et aiguiser la curiosité des spectateurs. « J’ai toujours été curieux, avide de découvrir et de me nourrir de nouvelles choses ». Avec un leitmotiv : si on prend du plaisir, le public devrait aussi en prendre.
Second marque de fabrique du festival (aujourd’hui encore), l’attention apportée au site et à la décoration. Dès 1998, « Les 3LF » confie cette tâche à Didier Molitor, génie un brin azimuté, actuel décorateur en chef de cet hallucinant parc d’attraction pour métalleux en goguette qu’est devenu le Hellfest. Objectif : complètement transformer et sublimer le lieu. « C’était plus compliqué que de planter une scène et une buvette en face. Mais c’est justement ce qui rendait la chose intéressante. Ça aurait moins drôle sinon, raconte Jeff… J’aime relever des défis, tenter des choses nouvelles, c’est ce qui fait avancer ».
Pas homme à peser le pour et le contre indéfiniment, mec de terrain plutôt que de bureau, Jeff Foulon agit, et avance : le festival double sa fréquentation lors de sa deuxième édition, et, emploi-jeune aidant, embauche Jeff comme salarié en octobre 1998. « Le festival m’occupait à mi-temps tout l’année. Je ne pouvais plus continuer à y travailler bénévolement si on souhaitait continuer ». Cinq ans plus tard, Les 3 Éléphants compte trois permanents, gère un budget de plus d’un million d’euros et accueille près de 15 000 spectateurs lors de ses dernières éditions à Lassay.
Homme à tout flair
Référence et modèle pour les festivals qui se créeront les années suivantes en Mayenne, Les 3 Éléphants n’en reste pas moins fragile. Dès 2004, Jeff réfléchit à une éventuelle délocalisation du festival. « Lassay n’avait pas les reins assez solides financièrement pour nous soutenir. Nous n’avions pas le choix : assurer la pérennité du festival passait par un déménagement ». En 2008, la décision, prise à l’unanimité par le bureau de l’asso, fera grincer des dents : « Les 3 F » migre à Laval. La capitale du département s’offre d’accueillir le festival, et surtout cela répond à une opportunité : la possibilité pour l’équipe de l’association d’assurer aussi la gestion du Le 6 par 4, nouvelle salle de concerts créée à Laval en 2008, après trois années de gestation épiques.
Une aventure « folle dingue » dont Jeff sera l’un des principaux protagonistes. L’histoire de cinq copains qui, un soir de concert, décident qu’il y en a « marre de voir Laval privée d’une salle de concert digne de ce nom ». Au culot, en mode DIY militant, ils décident début 2005 de retaper en salle de concert une ancienne boîte de nuit dans un coin perdu à une dizaine de kilomètres de Laval. 80 dates plus tard, Laval agglo, convaincue, achète les locaux de l’ancienne salle de concerts La Coulée Douce, au 177 avenue du vieux Saint-Louis, pour y installer le 6par4.
Une nouvelle vie commence : nouveau métier, nouvelles responsabilités. Polyvalent, Jeff suit notamment les travaux d’aménagement du lieu, qui peu à peu s’équipe et s’agrandit (pour accueillir aujourd’hui huit salariés). Tout cela en repensant de fond en comble le projet du festival qui, après deux années en périphérie de Laval, investit son centre-ville en 2010.
Pari réussi, les 3 F nouvelle formule trouve vite son équilibre et fait le plein lors de ses deux dernières éditions. Quant au 6par4, le ministère de la culture lui accorde en 2015 le label SMAC (scène de musiques actuelles), reconnaissance de la qualité du travail accompli et garantie de stabilité pour la structure. Sept ans après son installation à Laval, l’association a trouvé son rythme de croisière. Et les croisières justement, Jeff Foulon, ça ne l’amuse pas vraiment. Début juillet, à la surprise générale, le capitaine annonce qu’il quitte le navire. « Cela fait près d’un an que je préparais mon départ, avoue-t-il. J’ai l’impression d’avoir fait le tour. Aujourd’hui la structure est pérenne et entre de bonnes mains. C’est le bon moment pour partir. Je préfère le faire avant de m’installer dans un confort, une routine qui n’aurait été bonne ni pour moi, ni pour l’asso ».
Un départ sans point de chute, assure Jeff, qui explique « avoir besoin, à 42 ans, de prendre du temps : pour réfléchir, faire le bilan des 20 années passées et envisager la suite ». Difficile certes d’abandonner le bateau, surtout lorsqu’on s’y est investi comme lui à 200 % : « j’y ai mis tout ce que j’étais, c’est toute ma vie », glisse-t-il. Mais l’homme n’est pas du genre à cultiver les regrets. « Se mettre en danger, ça peut être flippant mais ça me plaît ». L’esprit d’entreprendre chevillé au corps, lui, le self-made man autodidacte qui a toujours travaillé au service de projets dont il était à l’initiative, rêve de liberté et de nouveaux défis. Et n’exclut aucune possibilité. Une certitude, il n’a plus envie d’endosser l’habit de programmateur, qu’il a trop porté. L’aventure continue !
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