20 ans que ce garçon « qui ne lâche rien » se bat pour faire vivre un festival défendant un jazz populaire, ouvert et accessible à tous. Entrevue avec Jeff Landeau, chef d’orchestre des Ateliers Jazz de Meslay-Grez.
L’accueil est simple et chaleureux. Ce jeudi après-midi, on s’attable sans façon autour d’un café dans la cuisine de notre hôte. À la bonne franquette. Un peu comme lorsqu’aux Ateliers Jazz, on déguste un concert, un sandwich rillettes à la main, entouré de gamins et de papis à casquettes, dans l’ambiance tout sauf guindée de la salle socioculturelle de Meslay-du-Maine.
La salle sociocu. C’est là que tout a démarré un beau jour de mai 1998. Deux ans auparavant, Jean-François Landeau, alors jeune prof de percussions à l’école de musique de Meslay, profite d’une réunion de l’association des parents d’élèves pour pousser un coup de gueule contre la pauvreté affligeante de la vie culturelle meslinoise. Interpellé par ce jeune type qui rue dans les brancards, Patrick Marey-Vignard l’aborde après la réunion : l’adjoint au maire cherche une idée pour fêter les 10 ans de la salle socioculturelle de la ville. Bingo, Jeff lui soumet un projet auquel il réfléchit depuis quelques temps : créer un espace de rencontre et de diffusion des jeunes musiciens des ateliers jazz, qui se multiplient alors dans les écoles de musique du département. Des jazzmen pros pourraient aussi être de la fête, pour compléter le tableau. Banco, répond Patrick Marey-Vignard, qui s’engage à trouver des moyens pour financer ce que les deux hommes appellent très vite « le festival » : 3 jours de concerts, avec des musiciens locaux et 120 jeunes élèves qui, le dernier soir, accompagneront sur scène la tête d’affiche de l’évènement : le trio Sclavis, Portal, Romano. Soit trois des musiciens les plus en vue de la scène jazz européenne. Les Ateliers Jazz démarraient sous de bons auspices.
Idoles à domicile
Cette discussion et cette rencontre vont « changer la vie » de Jeff Landeau, à qui le festival permettra de faire jouer à domicile ses « idoles », des musiciens qu’il écoute depuis qu’il est gamin. Chez papa et maman Landeau, gérants d’une entreprise de peinture à Meslay, on n’écoutait pas beaucoup de jazz, mais la musique est une affaire de famille. Le grand-père de Jeff, tromboniste, a créé dans les années 1960 l’orchestre d’harmonie et l’école de musique communales. Le petit Jean-François veut jouer du trombone comme papi, mais faute de prof, on le met au tambour. De l’école de musique de Meslay, Jeff passe au conservatoire de Laval où il reçoit l’enseignement du percussionniste Michel Macé. « Un mec qui jouait monstrueux » et qui lui fait découvrir le jazz. Une initiation que parachèvent le directeur du conservatoire, François Texier, ex-jazzman, et le pianiste Paul Faure, créateur des premiers ateliers jazz en Mayenne.
Muni d’une carte de la bibliothèque de Laval, il dévalise le fond jazz de la discothèque. « J’empruntais trois disques par semaine, que je copiais sur cassettes ». Une boulimie discovore qui ne l’a pas quitté depuis… De 14 à 20 ans, il n’écoute que du jazz et du classique – « le rock est venu bien après ». Et commence à courir les concerts et festivals dans toute la France. Le jeune percussionniste assiste aussi en auditeur libre aux cours du batteur Daniel Humair au CNSM de Paris. « Une leçon de vie autant que de musique ». C’est ça qui lui plaira dans le jazz : le charisme et la générosité de personnages souvent « bigger than life ». Ainsi que la liberté propre à cette musique, qui ouvre sur des horizons infinis. Mis sur la voie par le jazz, il écoutera « énormément » de musiques du monde, canadienne, géorgienne, africaine, indienne…
Poursuivant depuis gosse le rêve de devenir musicien, Jeff bosse son instrument « comme un malade », 2 à 3 heures par jour. Mais à 19 ans, une tendinite récalcitrante le tient éloigné des baguettes pendant trois ans. Fin du rêve. Il embrasse alors l’enseignement. Et découvre la « richesse humaine » de ce métier. « On accompagne les élèves parfois 5-6 ans, ça crée des liens ». Initiateur des ateliers jazz des écoles de Meslay et Bonchamp, il apprécie aussi l’équilibre que lui apportent ses deux activités : « après une demi-journée de cours, quand je passe en mode festival, j’ai l’impression de faire une pause, et vice versa ». Plutôt du genre à positiver, le quarantenaire, papa d’un petit garçon, mesure sa chance d’avoir « toujours la banane » quand il part au boulot.
Un garçon de valeurs
Bénévole à ses débuts, il est aujourd’hui salarié 9 heures par semaine pour le festival, relayé par Julie Cribier-Seguin sur le plan administratif depuis 2003. Mais le « festoche », qui accueille aujourd’hui près de 7 000 spectateurs sur 7 jours, l’occupe facilement 30 à 35 heures par semaine.
Pas question cependant de se plaindre. Le festival, c’est son bébé. Jeff ne lâche rien. Président des Ateliers Jazz de la 1re édition à 2010, Patrick Marey-Vignard confirme « le fort tempérament et la vigueur de ce garçon très déterminé, attaché à son territoire et à des valeurs d’accessibilité et d’exigence artistique ».
Malgré un budget serré (95 000 euros), Jeff tient mordicus à préserver la gratuité de la majorité des concerts proposés. Une marque de fabrique du festival, avec la place centrale donnée aux jeunes musiciens des ateliers jazz, qui ouvrent chaque soirée. Conséquence directe : le public dépasse largement le cercle des connaisseurs jazzophiles. Et Jeff, dégagé des impératifs économiques de remplissage, peut se permettre de prendre des risques artistiques : « je ne me suis jamais rien interdit en matière de programmation, du genre : non, ça s’est trop free ou avant-gardiste ». S’il ne privilégie pas les têtes d’affiche, Meslay peut tout de même se targuer d’avoir reçu quelques stars, qui ont sans doute contribué à sa notoriété. Une petite larme à l’oeil, Jeff évoque Jan Garbarek, Dee Dee Bridgewater, Liz McComb ou Archie Shepp…
Patrick Marey-Vignard souligne aussi « l’exceptionnelle érudition et connaissance du jazz » du programmateur. Il faut dire que, depuis 20 ans, il écoute sans exception tous les disques qu’il reçoit, « parfois 40 à 50 fois de suite pour certains artistes ». Une curiosité encyclopédique et un besoin de « savoir ce qui se fait aujourd’hui » qui expliquent sans doute sa capacité à dénicher des musiciens, comme E.S.T, Guillaume Perret, Dhafer Youssef ou Tigran Hamasyan, avant qu’ils n’explosent, et deviennent hors de portée du festival.
Autre priorité : celle qu’il donne aux musiciens locaux et régionaux dans la programmation. À l’image des six concerts organisés cette année en amont des Ateliers pour fêter cette 20e édition. Ou de la carte blanche offerte à Guillaume Bellanger, ex-élève de Jeff, qui signera une pièce rassemblant, le soir de la clôture, l’ensemble des ateliers jazz du département et des musiciens professionnels sur scène. Comme en 1998. 20 ans sont passés, mais l’âme des Ateliers n’a pas bougée.
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