Un brin subversif, le chorégraphe David Drouard bouscule les codes : son prochain spectacle, manifeste féministe en forme de concert chorégraphique, fait se télescoper 9 danseuses, 3 musiciennes et… un jardinier.

Lundi 29 mai 2017, 11h, Bistrot du palais, à Laval. David Drouard nous attend, assis, verre d’eau gazeuse à lettre P commandé. Les cheveux détrempés – il pleut dehors -, le jeune quadra accueille, sourire aux lèvres. La reconnaissance dont il bénéficie (tournées internationales, programmation dans des festivals prestigieux…) ne lui est pas montée à la tête. La rencontre est simple et agréable avec ce natif de Saint-Léger-en-Charnie, qui découvrit la danse vers 15 ans, estomaqué par les ballets du danseur Patrick Dupond.

Adolescent, vous ne vous destiniez pas à la danse ?

J’ai d’abord fait huit ans de clarinette, au conservatoire d’Évron. Mais un spectacle de Patrick Dupond, que j’ai vu à Laval, m’a bouleversé… Un prof du conservatoire m’a proposé d’assister à ses cours de danse classique. Son enseignement m’a plu.J’étais le seul gars, le Billy Elliot du coin. En un an et demi, ça a été explosif.

Explosif ?

Dans les années 1980, ce n’était pas courant de danser pour un gars. Très vite, j’ai voulu passer le concours d’entrée du Conservatoire de Nantes. Il me fallait apprendre une liste de pas, je me suis préparé en express. J’ai été admis. Le début d’une formation académique. En classique, c’était très compliqué. Je continuais la musique, en parallèle de la danse, et tout me saoulait. On disait que ma morphologie n’était pas celle d’un danseur professionnel. Trois ans plus tard, j’obtenais la médaille d’or du conservatoire… C’est à Nantes que j’ai beaucoup découvert, que je me suis ouvert à de nouvelles formes… On nous avait présenté Fauves, une création contemporaine. Ça me parlait beaucoup : danse plus ouverte, champs plus larges.

Et vous partez pour Lyon ?

J’ai suivi deux copines au CNSMD (conservatoire national supérieur de musique et de danse) de Lyon. Je me suis inscrit à l’arrache, en contemporain, par minitel à l’époque ! Et j’ai été pris, malgré mes lacunes techniques. Le jury a été « bluffé » par mon côté créatif.

Mais vous ne terminerez pas la formation ?

À la fin du cursus, on travaille avec des chorégraphes, des professionnels extérieurs au conservatoire… Dans ce cadre, je rencontre la chorégraphe Odile Duboc, très réputée à l’époque dans le milieu. Dans son travail, il y a une réflexion qui me parle, sur la liberté du geste, dépouillé de toute forme académique. Elle me demande si ça m’intéresse d’entrer dans sa compagnie, de participer à la création de Trois Boléros d’après Ravel. J’ai 19 ans, j’arrête Lyon avant la dernière année. Je deviens danseur professionnel.

Comme cela, sans transition ?

J’étais plein d’énergie, que j’avais envie d’extérioriser. Je me disais sans cesse : « Quand est-ce qu’on danse ? ». Et la gestuelle d’Odile Duboc me parlait beaucoup. J’ai travaillé 10 ans avec elle. À l’époque, on était 21 danseurs dans sa compagnie. Il y avait une vraie effervescence. Et avec Odile, on pouvait débattre. Elle est décédée en 2010. Elle a été une figure déterminante, pour moi. Une très bonne pédagogue avec une ouverture sur l’improvisation, une liberté d’expression.

Quand passez-vous de danseur à chorégraphe ?

Être chorégraphe, selon moi, c’est développer sa propre démarche artistique en associant la danse, le corps, le sens, les rythmes avec la mise en scène. En 1998, je commence à travailler comme assistant chorégraphe de Lionel Hoche à Paris. Je rencontre pas mal de monde. Dont Michèle Noiret, chorégraphe belge, avec qui je collabore toujours. De mon propre côté, j’avais des commandes, des envies aussi de marier des choses pas forcément mariables. J’ai travaillé avec Marie-Agnès Gillot, danseuse étoile de l’opéra de Paris, un summum en classique, sur une de mes créations, Perpetuum, associant l’ensemble des jeunes solistes de Paris. Puis, j’ai bossé pour la maison Hermès sur pas mal de créations internationales. En général, avec cette maison, c’est du « one shot ». Là, ça a duré cinq ans.

Mais vous n’oubliez pas la Mayenne ?

Dès 2005, je crée l’association Chantier, à Laval. Je voulais y être pour faire un travail de défrichage, contribuer à une meilleure représentation de la danse sur le territoire… Dans les années qui ont suivi, il y a eu la création du Théâtre de Laval, l’arrivée de Babette Masson au Carré, de nombreux projets avec la saison culturelle de l’Ernée, le Kiosque, Mayenne Culture… En Mayenne, j’ai senti une émulation, un dynamisme. Plus tard, j’ai constitué une nouvelle équipe et opéré un vrai virage dans mon travail, je voulais bâtir quelque chose ici, ne plus être « en chantier ». La compagnie DADR est née.

Et l’idée est venue d’un triptyque, trois spectacles traversés par une même thématique…

Transcrire la mythologie dans la modernité, via des figures hybrides, c’est ce qui m’intéressait de creuser dans ce triptyque. Ma démarche, c’est cela : faire l’archéologie du contemporain. Passer notre monde actuel au crible des mythes anciens. Le premier des trois spectacles, F(aune), c’est un solo, en référence à L’après-midi d’un faune de Vaslav Nijinski. Cette oeuvre, créée en 1912, date de l’ère industrielle. L’époque était au classique. Lui a révolutionné l’académisme. Il suggérait le phallus avec son pouce, il évoquait des choses érotiques et bestiales. Sans le savoir, il a posé les premières pierres de la danse contemporaine. Au même moment, dans les usines, on fabrique en série des Teddy Bears. Mon F(aune) à moi, ce sera donc un ours en peluche… de trois mètres de haut, dans lequel je me glisse pour incarner cette figure mythologique, et in fine parler de l’homme industriel.

 

La dernière pièce de la trilogie, (S)acre, fait aussi écho à Nijinski…

Travailler sur le Sacre du printemps, c’était mon envie depuis le début de cette série. S’attaquer à un tel monument dont il existe tant de versions par tant de chorégraphes, c’est un vrai défi. C’est la deuxième pièce de Nijinski. Rythmée par la forme scandée de la musique du compositeur Igor Stravinsky… La musique de notre (S)acre s’appuiera sur des motifs très courts, minimalistes, punks… C’est un contrepied total à l’oeuvre originelle, où une jeune fille vierge est sacrifiée pour célébrer le printemps. Ce printemps-là, nous en avons malheureusement connu de nombreux autres depuis. Le combat que nous poursuivons avec (S)acre, c’est celui du droit des femmes. Et sur scène, elles seront 12 femmes interprètes, de tous bords. On a reçu 1200 CV ! On a retenu 120 candidates. Nous en recevions 40, en même temps. Je voulais qu’elles proposent, qu’elles s’expriment, j’ai eu envie d’une famille qui se crée d’elle-même. Et ça a été le cas…

À propos de (S)acre, vous parlez de concert chorégraphique…

C’est vraiment dans cet objectif que je mène ce travail. Ce sera un live mêlant plein d’éléments différents. Avec trois musiciennes qui n’avaient jamais travaillé ensemble. Je voulais une batteuse qui soit un vrai métronome. J’ai rencontré Simone Aubert (musicienne au sein des groupes Massicot et Hyperculte). Puis Émilie Rougier qui joue des machines dans le groupe electro-noise Marvin. Et Agathe Max est arrivée, avec ses violons complètement délirants. On les a réunies. On a fait des essais extrêmement concluants. Elles formeront un groupe.

Pourquoi avoir aussi associé Gilles Clément à cette création ?

Il est architecte paysagiste et jardinier. J’aime beaucoup la portée symbolique de son travail, qui démontre la force de la nature. On collabore sur la notion de « rudéral » : ces plantes qui poussent sur les décombres, les tas d’ordures… La nature qui refait surface là où elle n’était plus. Il composera des jardins sauvages pour amener le végétal sur scène. Ces jardins évolueront avec le temps, les saisons, au fil des spectacles.

En parallèle de vos spectacles, vous intervenez régulièrement auprès des jeunes, dans les conservatoires, les écoles… Un mot sur votre travail de transmission ?

J’ai des souvenirs très forts d’une semaine de résidence au collège Béatrix-de-Gâvre, en mars 2015 à Montsûrs. C’était la totale liberté. On a mis en relation musique, danse et arts visuels. On a chamboulé les habitudes, valorisé le vivre-ensemble. La restitution, dans les couloirs, les salles de classe, la cour, était super forte politiquement. C’est-à-dire que dans cet environnement normé – l’école -, tout à coup, les enfants ont eu tous les droits. Ils avaient des choses à dire. Et on n’avait pas besoin d’expliquer ce qui se passait, juste de le vivre.

La dimension politique fait partie intégrante de votre travail ?

J’ai un regard à porter. Dans un monde où il y a des camps de concentration pour les homosexuels, en Tchétchénie. On vit la fin d’une civilisation. On tue notre environnement. Il y a Trump, Poutine… La société mue. L’homme s’enfonce dans un individualisme que renforce internet. La culture, c’est ce qui nous permet d’être vivant, d’être qui on est, et aussi de révéler un monde qui va mal, des choses cachées… Mais rien n’est perdu. À notre petite échelle, prenez la Scomam à Laval : on va bientôt hériter d’un lieu avec d’autres associations culturelles, doté d’un espace scénique où l’on pourra proposer des expos, apéros-danse, cafés-philo… Ce sera un endroit alternatif. L’esprit « punk » est de retour.

À voir
Le spectacle (S)acre, le 27 octobre au Théâtre de Laval.
Précédé d’une rencontre avec David Drouard (18h30).
« La culture, c'est ce qui nous permet d'être vivant »