Emmanuel Noret est intervenant musical auprès d’enfants et d’adultes en situation de fragilité. À ses côtés travaillent des éducateurs et des soignants. Chacun joue sa partition : musicale pour lui ; médicale et éducative pour eux. Un travail à l’unisson.

« Bonjour Clément / Comme tous les mardis, avec tes amis, tu ris / Et comme les perles d’un collier, comme les perles d’un collier / Ton prénom s’ajoute, vas-y on t’écoute. »

 

Nous sommes dans une classe d’école primaire, colorée, chaleureuse. Au tableau, la lettre J raconte le Jaguar Jaune, la Jolie Jument… Parvient du dehors ce bruit puissant, profond, sauvage et joyeux d’une cour de récréation ; celle de l’école Germaine-Tillion, à Laval.

 

« Bonjour Chloé / Comme tous les mardis, avec tes amis, tu ris. »

 

Emmanuel Noret a amorcé la chanson de bienvenue, un rituel attendu par les enfants. Ils sont en demi-cercle, autour d’Emmanuel qui a plié sa grande taille pour s’assoir sur une chaise de petit, après un exercice de contorsion qui tient du yoga et de l’origami. Le voilà à hauteur d’enfant. Il a posé au sol, avec une lenteur hypnotique, la boîte de son accordéon. L’excitation a fait place à un silence suspendu. Emmanuel a sorti délicatement l’instrument, il a étiré le soufflet au maximum de l’envergure de ses grands bras. Le souffle de l’instrument est ample, profond, c’est un feulement. Il fascine ces enfants dont certains, peut-être, ont le souffle plus court que de raison. Et magie de la première note…

 

« Bonjour Suad. »

 

Les enfants chantent, ou sourient, ou font les deux. Cette classe est particulière, elle accueille des enfants en situation de handicap, qui doivent recevoir des soins au fil de la journée, et un enseignement adapté à leurs capacités. Cette section d’éducation motrice (SEM) présente la particularité d’être mêlée à des classes dites ordinaires au sein de l’école. Chaque année, le conservatoire de Laval Agglo, qui salarie Emmanuel, met ses professionnels au service des écoles, des structures d’insertion ou d’accueil spécialisées… Il s’agit de diffuser la culture et la pratique artistique hors-les-murs du conservatoire auprès d’un public qui en a un accès moins aisé. Un mardi sur deux, les enfants de Germaine-Tillion guettent la haute silhouette d’Emmanuel et de son caddy sur lequel sont harnachés par des tendeurs à vélo accordéon, saxophone et djembé.

 

« Bonjour Ethan / Bonjour Théo. »

 

Emmanuel est intervenant musical. Un métier qu’il a longtemps exercé en milieu scolaire. Cela fait maintenant deux années qu’il officie dans le secteur de la petite enfance et de l’éducation spécialisée, des 4-6 ans en pédopsychiatrie jusqu’aux adultes de l’hôpital de jour, en passant par d’autres lieux spécialisés (centre médico-psychologique, institut pour enfants et adolescents polyhandicapés…). Il ne se considère pas comme un thérapeute, comme un soignant. « Intervenant musical, c’est faire de la pratique musicale en groupe, et mon approche reste la même que je sois en milieu scolaire ordinaire ou spécialisé : je travaille sur la communication, la relation à l’autre par la musique et je fabrique un moment qui doit avant tout être un moment de plaisir. Mon objectif n’est pas de soigner. Pas en première intention, en tous cas. »

 

« Bonjour Esteban / Comme la dernière perle du collier / S’ajoute ton prénom. »

 

Le chant accueille encore Blandine, psychomotricienne ; Rémy, orthophoniste ; Anne, éducatrice qui œuvrent aux côtés des enfants au fil de l’année et participent à toutes les interventions d’Emmanuel. « Et si nous sortions les djembés ? » La proposition d’Emmanuel recueille tous les suffrages. Il faut être à l’écoute des enfants, de leur fatigue, de leur attention fluctuante, et varier les plaisirs. Anne, Blandine, Rémy calent les instruments sur les repose-pieds des fauteuils électriques de chaque enfant. Ils leur glissent quelques mots, mais très peu, c’est Emmanuel qui dirige
la séance.

Caresse jazzy

« Ethan, tu vas faire un son sur le djembé, celui que tu veux, tu choisis. Et ensuite, chacun va essayer de refaire le même. » Ethan essaie un premier son, un premier geste qui tient de la paume frappée et du frottement. « Refais-le, Ethan ! » La deuxième fois, le geste est plus caressant, le son plus feutré. C’est le son de la caisse claire sous le balai du jazzman. « La deuxième fois, Ethan, tu l’as fait plus doucement, comme une caresse, c’est comme ça que tu veux le faire ? » Ethan, oui, la troisième fois, confirme : le son qu’il a choisi ; il sera jazzy.

Emmanuel improvise une comptine, qui appelle chaque enfant à répondre en écho à Ethan. Par cet exercice, il poursuit son objectif : il ne s’agit pas seulement de se faire plaisir, mais de « faire musique ».

« Ce qui fait musique, c’est l’intention que tu as, que tu donnes.Et aussi la netteté, la précision de l’exécution : les silences doivent être des silences, les transitions doivent être impeccables. »
C’est pour ça qu’Emmanuel a fait répéter à Ethan. Pour qu’il marque son intention, qu’il en maîtrise sa réalisation et puisse ainsi la communiquer à ses camarades.

Les éducateurs et soignants, quant à eux, ont tissé des liens entre l’activité artistique et leurs objectifs propres. « Cet exercice est dans la lignée de notre projet de l’année : “ Communiquer avec les autres ”. Tour à tour, chacun est celui qui donne le la ; et ça leur fait du bien, car ils n’ont pas forcément beaucoup de maîtrise sur leur vie. Ensuite, chacun devient celui qui écoute et répond. »
Emmanuel se souvient avec émotion d’une adolescente fortement handicapée, le corps crispé, tendu, peu mobile, et qui, sur une note aérienne, avait levé ses bras, si haut, comme personne ne l’avait jamais vu, comme pour s’envoler. La musique apprivoise, ouvre, étire, délie les esprits meurtris ou les corps récalcitrants.

Ce travail réclame de l’exigence. Emmanuel la revendique. « Chacun, avec ses possibilités, avec ses handicaps, a le droit d’avoir le plaisir de progresser, de se réaliser. Et c’est respecter chacun que d’avoir de l’exigence, c’est l’en sentir capable. »
« Vous avez travaillé la chanson du perroquet, la semaine dernière ? » Tous acquiescent. Le mardi où Emmanuel ne vient pas, la séance de musique a lieu. Pour cela, Emmanuel a formé Anne, Blandine et Rémy. Il leur a ouvert sa boîte à outils : la découverte des instruments, leur manipulation, la pratique vocale, l’écoute, les activités corporelles. En retour, les professionnels enrichissent Emmanuel de leurs connaissances du handicap.
La séance se termine par un chant d’au-revoir. Emmanuel tisse une histoire, autour d’une trame que connaissent les enfants. « Voilà, c’est la fin, on va se dire au revoir / Bravo, vous avez bien exploré, bien chanté / Théo, tu étais triste de nous quitter pour ta séance de kiné, mais tu es revenu et ça nous a bien plu / Voilà, on se dit à bientôt. »