Jeune comédienne, Alisma Boulay connait bien, pour les vivre au quotidien, les difficultés que rencontrent les jeunes artistes pour émerger. Avec une bande d’amis, elle organise depuis 2021 L’arbre bavard, un festival dédié à la jeune création, croisant théâtre, danse, musique… À quelques jours de l’annonce de la programmation du festival (qui se déroulera début août à Andouillé), portrait d’une jeune femme convaincue que l’art peut changer (un peu) le monde.
C’est fou comme quelques dizaines de kilomètres peuvent vous mettre à l’écart du monde, comme soudain semblent loin les (petits et grands) tracas qui colonisent votre quotidien. « C’est souvent ce que nous disent les gens », confirme Alisma Boulay. « L’isolement du lieu contribue à faire du festival une parenthèse, un cocon… où l’on se sent disponible, détaché… »
Cette après-midi ensoleillée d’avril, l’Anjuère, lieu-dit dans la campagne d’Andouillé, perdu au creux d’une vallée encaissée que traverse l’Ernée, a des airs de petit coin de paradis. C’est là, à 20 minutes de Laval, dans ces prairies arborées qui entourent la maison des parents d’Alisma, que se déroule depuis 2021 le festival L’Arbre Bavard. « Nous avons organisé plein de fêtes ici. On avait déjà l’habitude d’y accueillir beaucoup de monde », raconte Alisma, vingtenaire aux yeux verts, perdue dans un sweat à capuche trop grand.
Lorsque jaillit l’idée d’inventer un festival uniquement dédié aux compagnies théâtrales émergentes, le site de L’Anjuère s’impose d’emblée. Pour Alisma, Manon, Yvan, Emma et les cinq autres fondateurs de L’Arbre Bavard, alors pour la plupart étudiants en art dramatique, la raison d’être du festival tient en trois mots : « do it yourself ». « Puisque les jeunes comédiens qui sortent des écoles ne trouvent pas de lieux où jouer, créons ces espaces nous-mêmes » se disent-ils. Ainsi, depuis la première édition du festival, tous les artistes programmés répondent à ce double critère : être une compagnie ou un artiste émergent (c’est-à-dire non soutenu et financé par les institutions), souhaitant devenir professionnel.
« L’isolement du lieu contribue à faire du festival une parenthèse, un cocon… où l’on se sent disponible, détaché… »
Fait plutôt rare, voir unique dans le paysage du spectacle vivant : l’ensemble des artistes invités à L’Arbre bavard sont choisis via un appel à projets. C’est la manière la plus juste qu’a trouvé le collectif du festival pour bâtir sa programmation. Un processus qui permet d’éviter les effets de cooptation et de réseaux, de donner sa chance à toutes et tous, et, pour l’équipe organisatrice, de découvrir des artistes indétectables autrement.
Cette année, le festival a reçu 416 propositions ! Parmi lesquelles ont été retenues 11 compagnies qui se produiront (chacune deux fois) les samedi 2 et dimanche 3 août. Toutes et tous seront évidements rémunérés. L’inverse aurait été contraire à la vocation du festival, qui souhaite développer davantage son accompagnement et son soutien aux artistes de théâtre émergents.
Sur ce point comme sur le reste, l’équipe entend être en cohérence avec les valeurs qu’elle défend, sortir des logiques dominantes et ne pas reproduire des schémas qu’elle juge dépassées. « Même si ça n’est pas toujours simple, car le capitalisme nous ronge tous jusqu’à la moelle », rigole Alisma. Ainsi L’Arbre Bavard revendique sa dimension de « micro-festival », et sa volonté de ne pas céder à la tentation du « toujours plus » (de spectacles, de spectateurs…).
Le théâtre comme un appel
La taille actuelle du festival (qui cumule sur deux jours 1200 entrées environ) permet des échanges et rencontres entre festivaliers, une grande proximité entre le public et les artistes, ainsi qu’un impact environnemental limité, le transport du public le transport du public générant 60 à 70% de l’empreinte carbone d’un évènement. Cet impératif écologique s’impose à tous les niveaux du festival, qui multiplie les solutions pour y répondre : restauration locale et 100% végétarienne, sobriété énergétique, recyclage et réduction des déchets, toilettes sèches, mise en placette de navettes, incitation à la mobilité douce et au covoiturage…
Idem concernant le fonctionnement interne : plutôt qu’une organisation hiérarchique, la team de l’Arbre Bavard tend vers un organigramme horizontal, privilégiant les prises de décision partagées. Ultra-motivée et structurée, la quarantaine de bénévoles actifs de l’asso oscille entre 22 et 26 ans. Une moyenne d’âge, d’environ 24 ans, à mettre en rapport avec la part conséquente que représentent les jeunes dans le public du festival : les moins de 25 ans constituent plus d’un tiers des spectateurs. Viennent ensuite les plus de 50 ans (28%), puis les 25-35 ans (21%)…
Mixte et intergénérationnel, l’Arbre Bavard vise un public local, pas forcément habitué des salles de spectacles. En plein air, festif et estival, sans gradin, ni scène, le festival casse les codes et barrières qui peuvent parfois intimider. Majeur pour L’Arbre bavard, cet enjeu fonde également l’engagement d’Alisma en tant qu’artiste.
Créer un rapport direct avec des gens de tout bord
L’art pour l’art et le confort « bourgeois » de l’entre-soi, très peu pour elle : la jeune comédienne fait d’abord du théâtre pour créer un rapport direct avec des gens de tout bord, et dire ce qui il est urgent de dire, ce qu’il est indispensable d’exprimer, avec l’espoir de croire qu’on peut changer le monde. Elle confie avoir hésité entre le théâtre et un engagement militant, sans doute plus efficace pour mener les combats (féministes, écologiques, sociaux…) qu’elle juge essentiels aujourd’hui. Mais le désir du théâtre était trop fort. « Je suis tellement heureuse à cet endroit-là ».
Après avoir pratiqué la clarinette enfant et ado, jeune élève au lycée Douanier Rousseau, elle reçoit le théâtre comme un appel. Une révélation, qu’elle doit au hasard d’une option théâtre à laquelle elle s’était inscrite par défaut. Très vite, elle sait que sa place est là. Sa route est dès lors tracée : après le lycée, en 2016, elle entre en classe de théâtre au conservatoire du Mans, puis elle poursuit au conservatoire de Montpellier, dont elle sort en 2022, avec l’envie de vite se confronter au réel, de jouer, mettre en scène…
Aujourd’hui, en parallèle des cours de théâtre qu’elle donne à Meslay-du-Maine, Alisma participe à la nouvelle création de la compagnie lavalloise Anima, mise en scène par Lucie Raimbault, et dont la première est prévue pour 2025. Autre projet en cours : la création de Pigboy 1986-2358, avec le collectif Détour 21, formé avec trois autres comédiennes rencontrées au conservatoire de Montpellier. Un western dystopique en trois volets, mettant notamment en scène un éleveur de porcs. « C’est un projet ambitieux, mais que l’on veut pouvoir tourner partout. Nous l’avons déjà joué dans des fermes, et cela a ouvert beaucoup de retours et d’échanges ». À l’heure d’une crise agricole sans précédent et alors que se pose plus que jamais la question de notre rapport au vivant, difficile de trouver sujet plus brûlant.
Playlist
1- Yom – Le silence de l’exode (Errance)
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