Défenseur d’un théâtre qui fait rêver et penser les enfants, l’auteur Sylvain Levey, en résidence en pays de l’Ernée, a sillonné les collèges et creusé cette question, centrale dans sa prochaine pièce : comment vivent les jeunes aujourd’hui ?
« Eh bien, lis-nous ce que tu as barré. » « Mais j’ai tout barré. » « Très bien, alors lis tout. » Sylvain Levey a une très belle voix, qui tend la main à cette élève du collège des 7 Fontaines à Andouillé, pour qu’elle s’autorise à lire son texte. « Tu ne vas pas nous ennuyer, prends ton temps pour le lire… » Nous sommes le vendredi 6 février, dernier jour d’une résidence de trois semaines, passée par l’écrivain en pays de l’Ernée, et dernières heures de classe pour ces élèves de quatrième. Chloé s’autorise, non sans timidité, mais elle s’autorise.
« S’autoriser », ce verbe est peut-être une clef pour comprendre le parcours de Sylvain Levey, devenu presque par accident – « J’étais destiné à être ouvrier. » – cet auteur de théâtre contemporain reconnu – il dit s’en « ficher » – mais surtout très joué, lu et sollicité.
Lui s’est autorisé à faire des études supérieures en sociologie, à la faculté de Rennes. Puis le hasard d’une affiche invitant à des cours théâtraux lui fait pousser la porte du Théâtre du Cercle, parcourir un long couloir et découvrir la scène. « J’ai tout de suite su que j’aimerai ça, ce rapport au lieu, à l’espace, au silence. » Pour payer une partie de son adhésion, il colle des affiches, puis au fil des mois, déserte les bancs de la fac au profit de ce théâtre porté par l’idéal de l’éducation populaire.
Un jour qu’il anime un atelier pour des tout-petits, Sylvain repère une gamine qui fait la tête. Il la questionne. Elle est déçue de n’avoir pas eu des rollers comme cadeau d’anniversaire. Sylvain propose aux marmots de réinventer l’anniversaire. « Tu feras le papa, toi la maman, toi Amélie. » Le soir même, il écrit ses toutes premières lignes, qu’il fera jouer aux enfants. Une envie est née, s’est révélée.
« Le portail vert, les gravillons, la voiture bleue de ma mère, l’allée de sapins, les champs, le Sacré-Cœur, le kebab, le chien et son collier rouge… » Chloé égrène la liste des choses vues sur le trajet de sa maison au collège. Elle a « ramassé du bois pour faire nos cabanes », image joliment Sylvain. La liste de mots servira à bâtir un texte de 1 minute, objectif de ces 2 heures de travail. En préambule, Sylvain a annoncé comme une vérité (car c’est une vérité) : « Je vous rappelle que nos vies sont très intéressantes, sont passionnantes et peuvent être partagées. »
Titiller les conservatismes
Début des années 2000. Le jeune Levey traverse ses années d’apprentissage théâtral et de vaches maigres, monte une compagnie à Fougères. Il écrit ses premières pièces, toujours pour le jeune public : Roller blade puis 6 sur 20 à propos de la pression à l’école. Un texte qu’il reprend pour les grands et qui sera lu à la Comédie française en 2005. « Je suis devenu auteur, sans quasi m’en rendre compte ! »
À la lecture des textes des collégiens, Sylvain apporte des indications : « Super l’idée des textos. Essaie d’en rajouter pour que ton téléphone soit la vedette de ton texte. » « J’aime les mots et j’aime transmettre cette passion. Les mots sont nécessaires, on en manque, il faut s’approprier les mots. » Intervenir en milieu scolaire relève d’une envie et d’un engagement politique : l’homme dit aimer titiller les conservatismes, et les jeunes n’en sont pas exempts, la langue française non plus. « Faites gaffe aux formules toutes faites ! Et pas la peine d’alourdir vos phrases avec du subjonctif dès que vous racontez une histoire » prévient Sylvain. « Une phrase simple, c’est de la poésie. »
Un dialogue s’instaure avec un collégien qui renâcle à reprendre son texte. « Tu fais du sport ? » « Du volley. » « Pour le service, tu le refais plusieurs fois pour le perfectionner. Eh bien c’est pareil. L’écriture demande de l’endurance. » Sylvain explique : « Je ne suis pas là pour être aimé des élèves, mais pour aller les chercher, surtout ceux qui sont restés un peu en bas des marches. »
Son premier texte paru, Ouasmok ?, devient très vite un classique du théâtre jeunesse. Il sera publié en 2004 aux Éditions théâtrales, dont Sylvain Levey rejoint « l’exigence rare, la radicalité précieuse ». Car sa belle trajectoire ne tient pas tant de la success story, ni de la bonne étoile, que de la récompense d’une cohérence et d’une ligne de conduite indéfectible. Cette première pièce, et les 16 qui suivront, répondent toutes à un triptyque revendiqué par l’artiste : le beau, l’humour, l’espoir.
« Je recherche le beau dans l’exploration de la langue, la puissance de la fable ; l’humour dans ce regard décalé, salvateur, par lequel tu peux reconsidérer une situation, même difficile. » Quant à l’espoir, « J’aime l’idée qu’une porte de sortie est ouverte quelque part, que même dans des circonstances dramatiques, ça vaut le coup d’être debout et qu’on peut s’en sortir. »
Enquête invisible
L’artiste croit en l’homme et en sa capacité à créer un monde meilleur. Ses pièces sont pétries de ce ferment humaniste, propre à faire germer les réflexions des enfants, ces adultes en construction.
Initié par le service culturel de la communauté de communes de l’Ernée, le travail ambitieux qu’il mène aujourd’hui au sein de plusieurs collèges du territoire nourrit un plus vaste projet, portant sur « les jeunesses » en France. Le pluriel ici est essentiel. L’artiste a entrepris d’écrire une pièce pour 26 personnages, 26 jeunes de 8 à 18 ans. Sa réponse aux discours sur l’identité française au singulier, la jeunesse au singulier, ces singuliers synonymes d’hégémonie et d’exclusion : on ne grandit pas de la même manière à Ernée ou Marseille, en banlieue ou dans les beaux quartiers. Sa façon aussi d’opposer un contre-discours à ceux, qui en parlant au nom de la jeunesse, lui confisque la parole.
Sylvain Levey alimente ce travail par ce qu’il appelle une « enquête invisible » menée au gré de ses résidences (Albi hier, Ernée aujourd’hui, Lille demain) et de rencontres fortuites, « dans le couloir d’un collège, sur le chemin du self, j’échange deux mots avec un gamin… J’observe, j’écoute, je regarde et tout cela infuse. »
Chacun des 26 personnages sera décrit en 26 lettres, prétextes à un texte d’une minute. Soit 11 heures de spectacle au total ! Cette fresque colossale sera achevée d’ici trois ou quatre ans. Mais au printemps 2022, Sylvain reviendra avec un premier extrait qui sera interprété sur scène par des jeunes collégiens de l’Ernée. Eux, mieux que personne, pouvaient « s’autoriser » à y jouer le premier rôle.
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