Depuis quelques années, des patients accompagnés par les centres hospitaliers de Mayenne et Château-Gontier participent à des ateliers de pratique artistique longue durée, pensés avec les acteurs culturels du territoire. Regard croisé sur ces deux expériences.

Initiés par des soignants convaincus de l’intérêt de la médiation par l’art, les projets Culture et Santé des pôles de santé mentale des centres hospitaliers du Haut-Anjou et du Nord-Mayenne (CHNM et CHHA) prennent des formes sensiblement différentes. À Château-Gontier, un groupe de patients du centre d’activité thérapeutique à temps partiel (CATTP) accompagnés par deux soignants ont rendez-vous le lundi après-midi à la scène nationale Le Carré, pour des ateliers de pratique avec un artiste. Durant l’année, quatre modules de quatre à sept séances chacun sont ainsi concoctés à leur intention avec l’équipe du Carré, leur permettant d’explorer différents champs artistiques : danse, théâtre, arts plastiques, musique…

À Mayenne, le projet implique des patients et des soignants de l’hôpital de jour, du CATTP et des pavillons d’hospitalisation de longue durée. Co-construit avec Le Kiosque, centre d’action culturelle, et un ensemble de partenaires, il explore chaque année un champ artistique différent. Cette année, c’est la musique. Le conservatoire et la médiathèque rejoignent le musée du château, l’école d’arts plastiques et l’association Tribu Familia au rang des co-pilotes du projet. La partie artistique est confiée au jeune producteur de musique électronique Woodee. Le projet se déploie sur tout le premier semestre pour aboutir à un concert donné lors de la fête de la musique. En fonction des goûts et des profils des participants, des groupes sont constitués pour prendre en charge un aspect du projet : régie, décoration, création…

Des sorties culturelles (visites, spectacles) sont proposées à Mayenne comme à Château-Gontier, comme autant de temps d’apprivoisement et d’ouverture. S’ils divergent sur certains points, ces deux projets axés sur la pratique reposent sur les mêmes principes et valeurs et visent les mêmes bienfaits.

Partenaires particuliers

Pour Estelle Cibois, cadre de santé au CHNM, « la médiation artistique permet de diversifier les approches de soin. La participation à la création d’une œuvre dans le cadre d’un projet cohérent et structuré a des effets positifs sur l’estime de soi et sur le lien avec les autres. Pour des patients qui peuvent être très ancrés dans l’imaginaire, c’est un support exceptionnel qui permet de mettre un handicap en avant comme une force ou de sublimer le délire. »

Alexandra Boisseau, psychologue au CHHA, souligne que « chacun retrouve de la liberté et de la subjectivité face à la culture en général, que l’on soit en difficulté psychique ou non. L’ art permet de faire réémerger en chacun des patients les sujets qu’ils sont. C’est aussi un mode d’expression, un lieu où les personnes peuvent s’exprimer par un autre biais. Sortir de l’hôpital et se retrouver dans un lieu culturel, c’est une manière différente de travailler à partir des individus qu’ils sont. »

C’est l’une des grandes forces de ces deux projets que de permettre aux soignants et patients de sortir des murs de l’hôpital et de s’appuyer sur des acteurs culturels du territoire qui ont une expertise de la médiation et des habitudes de travail avec des artistes. Infirmière spécialisée dans la médiation thérapeutique au CATTP de Mayenne, Candice Illand accompagne chaque année un groupe de patients et apprécie « énormément l’accueil que les partenaires culturels et les artistes nous réservent. Au début du projet, c’est l’inconnu. En tant que soignants, nous ne maîtrisons pas le média artistique, nous nous laissons guider. Ils savent s’adapter et stimuler la créativité. Tout semble possible. Ils créent un climat qui amène les patients à se dépasser, à aller vers l’extérieur, à montrer quelque chose d’eux, et ce, plus qu’avec d’autres types de médiations ».

Impliquée depuis 2008 dans le partenariat avec le CHHA, Émilie Lebarbé, chargée des publics au Carré à Château-Gontier, insiste sur la complémentarité des rôles de chacun des intervenants : « l’artiste travaille sur les enjeux artistiques, la découverte de la pratique artistique. En même temps, il observe ce qui se passe et compose avec des personnes qui peuvent aller plus ou moins bien au fil du parcours ».

Les patients sont des adultes volontaires, qui font le choix de participer, avec l’accord du médecin qui les suit. Les soignants qui les accompagnent s’impliquent dans l’atelier au même titre que les patients. Dans une position d’observation active, ils veillent à la sécurité du groupe et des individus. « Chaque séance est structurée de la même manière, très ritualisée, et se termine par un temps de régulation entre artiste et soignants pour échanger sur le ressenti de la séance, complète Émilie. À la fin du module, un temps de bilan associe les participants et partenaires. C’est un moment important où les patients expriment ce qu’ils ont vécu. »

Un impact extraordinaire

S’il a eu l’occasion de vivre différents projets autour de la musique, de l’écriture ou du théâtre d’objets, « tous très enthousiasmants », Benjamin Ballée, infirmier au CHNM à Mayenne, reste profondément marqué par le projet danse mené en 2016 avec Laëtitia Davy, alors qu’il était infirmier stagiaire. « Une aventure humaine de six mois, avec une échéance importante, la création d’un spectacle de danse dans des conditions professionnelles, ouvert au public, avec cartons d’invitation, affiches dans la ville… Je me souviens combien l’introduction de la danse dans la vie du pavillon a permis de désamorcer certaines situations complexes. Un pas de danse auquel le patient répond, c’est une bouffée d’oxygène ! Ces projets ont un impact extraordinaire direct et indirect, à la fois dans la valorisation des personnes, l’engagement dans la durée, l’autonomie, l’entraide entre les patients et avec les soignants, le lien avec la famille, ou encore l’inscription dans la ville. On construit une histoire commune ancrée dans un territoire. »
Alexandra Boisseau confirme : « il s’agit de lutter contre l’isolement souvent inhérent à la maladie psychique et la stigmatisation de la psychiatrie dans la société, de retrouver une place dans le monde. L’atelier réalisé dans les espaces culturels de la ville vise à ce que chacun se vive comme tout individu dans la cité. Cette expérience a permis à certaines personnes de s’inscrire dans un champ social plus large par la suite. C’est un terrain d’enseignement pour nous soignants et une chance pour tous ceux qui y participent. »