On en a vu passer des choses, dans les yeux des bénévoles de Ça Grézille. De la peur, d’abord, quand, sur les coups de 20h15, la pluie s’est mise à jouer les trouble-fêtes. De l’inquiétude, ensuite, de revoir le scénario de 2013 se répéter (une édition mise à mal par des orages à répétition, finalement « délocalisée » en intérieur). De l’attente, ensuite, quand, soleil perçant, le festival s’est enfin lancé. De la joie, pour finir, de voir un an de travail finalement récompensé. De belle manière.

20h45 en ce samedi 23 mai 2015. Et l’attendu Mazarin d’inaugurer cette 6e édition du festival de Grez-en-Bouère. Sans doute la récente averse expliquera-t-elle la faible affluence devant la scène. Mais Mazarin, face à une cinquantaine de mélomanes, n’en tient pas compte. Il joue même à faire sourire le public de ces mélodies entêtantes qu’on se surprend à chantonner. Il faut dire, avec son projet « perso », Pierre Le Feuvre, ex artisan-chanteur du duo La Casa commence à se faire un nom. Et quand il entonne « Ce n’est rien du tout », programmée dans la playlist de France Inter, les spectateurs reprennent naturellement le refrain de la chanson. Seul sur scène, Mazarin fait le boulot. Et prépare la suite de belle manière.
C’est d’ailleurs un de ses potes qui montera, quelques minutes plus tard, sur la grand scène de Ça Grézille. Monsieur Roux et ses acolytes sont de retour en terres mayennaises. Et une bonne heure durant, font chanter un public complice et beaucoup plus fourni. En chanson, Erwan Roux s’adonne à des rythmes tantôt country sinon manouche. On y croit en cette chanson francophone. On rigole, même. Faut dire, le gars est doué pour faire des blagues. Y a de la coquinerie dans l’air et le public en redemande, tout vicelard qu’il est. Beaucoup de familles sont là. Des jeunes aussi, vingtaine passée ou approchée. Et des vieux, ouais ! Puis, quand le quatuor rennais de Monsieur Roux joue « Les week-ends en Mayenne », on s’y retrouve. On se reconnaît. Beau moment, léger comme il faut.

Sueur

De légèreté, Lunatik Rezo n’en usera pas beaucoup. Perché dans sa tour, ses vibrations « drum’n’bass » auront ambiancé, à chaque changement de plateau, l’air de jeu du festival du sud-Mayenne. On aura apprécié sa première réalisation, retenue et maîtrisée. On doutera plus des deux suivantes, plus « rave parties » que « family fest ». Mais on profitera de l’occasion pour vagabonder sur le site – toujours cosy et taillé humain – et se reposer quelques instants sur les fauteuils posés, ici et là. Puis d’aller se servir. Faut dire, munis de leurs grézillons (la monnaie locale) après passage obligé à la banque, les festivaliers d’un soir auront pu profiter d’un repas complet ou d’une bière comme on l’aime : fraîche.
Bientôt, ce sont les six de City Kay qui arrivent. D’un style « reggae » clairement revendiqué, ils s’affranchissent, pour y mêler la sueur anglo-saxonne du genre. Et y injecter des touches electro. Le dub y est, la soul aussi, la progression en plus. Le reggae urbain des Rennais surprend. Et ça marche. D’ailleurs, la foule – environ trois cents spectateurs massés devant la scène – en redemande. Passé aux derniers Foins d’Hiver, City Kay reviendra vite en Mayenne. C’est certain.
Minuit bien entamé, le sextet manceau d’Outrage est enfin prêt à en découdre. D’emblée : gros son. On apprécie les bouchons d’oreille du stand de prévention. Le punk cuivré sent bon l’expérience – faut dire, ça fait dix-neuf ans que le groupe traîne sa grasse folie sur les routes de France et d’Europe. Ben, à Ça Grézille, c’est pareil : ça joue fort, ça grogne, ça sue, ça bouge et ça danse. Frénétique, le groupe. Et d’oublier le détail mélodique pour ne penser qu’au moment de pure… oubli. Avec Outrage, le moment, c’est tout ce qui compte. Le reste – la musicalité -, c’est moins important. En somme : c’est pas mon jus mais ça a plu.

La claque Degiheugi

Pour finir ce Ça Grézille #6, les organisateurs ont prôné la qualité : Degiheugi. Le Lavallois, connu et reconnu par ses pairs, l’est moins auprès du grand public. C’est l’erreur à combattre. Car tout est bon dans son travail. Pendant trois quarts d’heure, le trop rare Jérôme aka Degiheugi a tout bon : des samples, du beat, du jazz, un peu de trip et de hip-hop et une coloration tellement personnelle… Un patchwork électronique. Une claque. LA claque de la soirée. D’autant que le beatmaker a choisi d’illustrer sa musique… en images. En vidéo rétro projetée. Une patte. Une vraie patte. Alors oui, il y a moins de monde en cette heure tardive. Moins d’une centaine d’âmes. Faut dire, c’est osé et surprenant comme fin de festival. Mais tous, tous ont le sourire. Ça donne le sourire, Degiheugi. Ça fait vibrer, se mouver, danser langoureusement. C’est bon. Juste bon pour les oreilles et le moral…
Au bilan, le festival à Grez-en-Bouère fait encore mouche. Pour la deuxième année de suite. On aura eu peur. La faute à un public qui a tardé à arriver. On aura craint, aussi, un ou deux choix discutables. Mais on aura souri, beaucoup. Salué l’audace finale. Et observé ces festivaliers qui se sont plus que jamais appropriés les lieux. Quant au chiffre, il ne ment pas. Comme l’an passé, le « petit » festival fait 1063 entrées. Bon, c’est sept personnes de moins qu’en 2014. Mais ça ne trompe pas. D’ailleurs, les « grands » du 5.3 étaient dans la place – Au foin de la rue, Les Bouts de Ficelles, Les 3 Éléphants… Y avait même Tranzistor, c’est dire ! Avec ce cru 2015, Ça Grézille s’installe. Durablement.