Alors que le festival Au foin de la rue battait cet été son record de fréquentation (18 000 entrées !), tête-à-tête avec son président, ARNAUD BABIN, par ailleurs cyclo-guitariste au sein de Los Tick, groupe punko-régressif reformé depuis peu.
C’est la faute à Louis XIV, De Gaulle ou Mitterrand. En France, la fonction de président renvoie systématiquement à l’image du monarque tout puissant, big boss omnipotent concentrant tous les pouvoirs et décisions. Tout le contraire d’Arnaud Babin. Au poste de no 1, lui préfère celui de n°10. En mode capitaine d’équipe, adepte du jeu à la nantaise : le collectif avant tout ! L’homme le répète à l’envi, ce qui l’intéresse d’abord, c’est l’aventure collective et humaine que représente Au foin de la rue. Humble jusqu’à l’excès, notre presque quarantenaire rechigne à parler de lui et à évoquer son rôle de président – « il y a plein d’autres personnes au sein de l’asso qui pourraient exercer cette fonction, je ne suis qu’un maillon de la chaîne » – et préfère botter en touche pour saluer l’engagement exemplaire des salariés – « qui fournissent un taf de malade » – et des bénévoles du Foin, « ces passionnés qui prennent 15 jours de congés pour participer au montage du festival».
L’image solennelle de la fonction présidentielle s’effrite encore davantage lorsqu’on a le loisir de contempler l’ami Nono, moulé dans un très seyant cycliste aux couleurs de Bob l’éponge, sautiller tel un cabri sous amphètes lors d’un concert de Los Tick.
Los Tick. Tout un poème. Un groupe de potes, formé au début des années 2000 sur les bancs du lycée. Et qui dès l’origine constitue pour ses membres un défouloir, « une cour de récré », où toutes les régressions sont permises. « Même si au fond de nous, on rêve d’écrire des morceaux super classes, dès qu’on est ensemble, on ne peut pas s’empêcher de déconner. Ça part direct en sucette », feint-il de regretter. Simple et efficace, la recette du quintet mixe paroles comico-débiles, fond de sauce punk-rock et déguisements à base de maillots vintage de l’Ernéenne Football, de casquettes Manufrance et de strings sur la tête. Une « blague » qui les emmènera tout de même plusieurs fois en tournée et en studio, et qui se terminera en 2005. Pour reprendre l’année dernière à la demande du… Foin de la rue, qui sollicite les musiciens pour ambiancer sa fête des bénévoles. Le groupe accepte, « répète à l’arrache, comme d’hab ». Et ravi de l’expérience, décide de la prolonger, « mais à raison de 2 à 3 concerts par an max, juste pour le fun ».
Numéro de claquettes
Habitant Ernée, soit à quelques kilomètres en mob trafiquée de Saint-Denis-de Gastines, où naît Au foin de la rue en 2000, Arnaud côtoie de près la bande qui fondera le festival. « On y a même joué lors de la première édition avec Los Tick, sur une remorque tirée par un tracteur… » Simple bénévole au départ, il rejoint en 2008 le bureau de l’association et en devient le président trois ans après. Un peu malgré lui : avec son pote Régis Brault, ils se jurent avant l’élection du nouveau bureau qu’ils refuseront catégoriquement la présidence de l’asso. « Résultat, à la fin de la réunion, j’étais président et Régis, vice-président. »
Il faut dire que la tâche a de quoi effrayer. En 15 ans, la boutique s’est considérablement agrandie, développant des actions à l’année (Les Foins d’hiver, Au foin de la lune, Les soirées rouges…) et reposant aujourd’hui sur une équipe de quatre salariés et près de 1 000 bénévoles. « J’aimerais bien pouvoir faire la bise à tout le monde mais c’est physiquement impossible », rigole Nono. Lorsqu’on s’inquiète de la charge de travail que représente la présidence du Foin, il relativise – « disons qu’il faut mieux avoir une boîte mail qui fonctionne, un conjoint ou une conjointe compréhensif(ve), savoir s’adapter et s’entourer » – et insiste une nouvelle fois sur la dimension collective de l’aventure : « je ne suis pas seul, on forme une équipe, on se répartit le boulot ».
Une responsabilité collective et un fonctionnement démocratique qu’il s’est attaché à renforcer et développer. Au sein de l’association, toutes les décisions importantes sont ouvertes et partagées par un maximum de personnes. Et le Foin suit avec enthousiasme les bénévoles animés par une envie, un projet, une préoccupation particulière… C’est ainsi par exemple que le développement durable et l’accessibilité du festival à tous les publics (personnes handicapées, etc.) sont devenus des priorités pour l’association.
« C’est quelqu’un qui sait écouter, prendre du recul avant de décider, rester stoïque même dans la tempête, tempérer les débats quand il y a des tensions et trouver les bons mots pour régler un problème, témoigne Régis Brault, complice et ami de longue date. Il sait aussi sortir une grosse vanne au moment où personne ne s’y attend », se marre-t-il encore à l’évocation de ces discours présidentiels non préparés, dérapant en démonstration de claquettes ou récital de flûte à bec…
Nono limit
Les bons mots, le président du Foin devra aussi les trouver pour convaincre un nouveau bureau et président de prendre la relève l’année prochaine. Car Capitaine Nono lâche la barre. Il l’avait annoncé depuis un an : lorsqu’il enlève sa casquette Foin de la rue, Arnaud enfile celle d’agent des services techniques de la ville d’Ernée et accessoirement de papa. « Je viens d’avoir un troisième enfant, il est temps de souffler pour moi comme pour ma femme, que je remercie d’ailleurs pour m’avoir permis de vivre cette aventure », glisse-t-il, en précisant vite qu’il ne quitte pas le navire. « Je me mettrai à la disposition de la nouvelle équipe ». Qui aura sans doute quelques grains à essuyer : fin des contrats aidés de certains salariés pour lesquels il faudra trouver des financements, croissance continue des cachets artistiques qui grèvent les budgets des festivals…
Mais son actuel commandant est confiant, le paquebot Foin de la rue maintiendra son cap : celui d’« une programmation pointue, maline, « exotique » face aux mastodontes de l’été, un site sans pollution visuelle (aucune publicité), une scénographie signée par nos bénévoles, de l’accessibilité pour tous, du partage, du vivre-ensemble… » Et un « grain de folie » qui fait le sel du Foin, et auquel notre capitaine n’est sans doute pas étranger…
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