Chronique, signée Pierre Ponce, de l’exposition de la plasticienne Cécile Carrière, à voir jusqu’au 31 décembre à la galerie de la porte Beucheresse à Laval.
On présente parfois le travail de Cécile Carrière, comme un art féminin. Je crains que ce ne soit une vision trop restrictive pour être acceptable. En effet, si l’identité et la pensée d’un(e) auteur(e) sont à prendre en compte pour comprendre son œuvre, faire de l’art une affaire de genre réduit déjà par deux sa portée universelle. Me concernant, je vois dans le travail de Cécile Carrière du Schiele, du Matisse et du Louise Bourgeois. J’entends par là une utilisation de la peinture dans la dilution et sans repentir, un découpage des silhouettes ciselé et synthétique, ainsi qu’une certaine forme de primitivisme dans l’emploi de traits comme taillés à la pointe sèche.
L’artiste explique s’être inspirée des Contemplations de Victor Hugo pour cette série qu’on pourrait qualifier de suaires. Elle dit « creuser le Mont Blanc pour en faire une tombe de l’humanité », une citation dont elle cherche encore la provenance. Une « montagne-ventre », motif récurrent chez elle, qui se fait enveloppante, rassurante. Une sorte de Pachamama, brossée largement, dans une gestualité circulaire autorisée par le passage aux grands formats. Cette série de corps horizontaux lovés au cœur de la montagne est la poursuite d’une autre série : les barques dans lesquelles des corps (migrants, naufragés ?) se réfugient. Véhicule de la métempsycose, la barque est l’élément qui permet le passage du Styx, c’est à dire le passage d’un état à un autre. L’auteure parle également de résurrection, et en cela, on peut interpréter certaines scènes de dévoration et d’interpénétration des corps comme des rites chamaniques, et c’est alors à un autre homme que l’on songe : Antonin Artaud.
Mais revenons au véritable sujet qui a motivé cette œuvre composée de fœtus blottis dans le ventre de la montagne : le cycle de la vie. Qu’est-ce qui permet à une barque de flotter, quelle matière subit un cycle constant en passant par les phénomènes d’évaporation et de condensation : l’eau. Associé à la montagne, on obtient le genre pictural le plus prisé dans la Chine Impériale : le « paysage montagne-eau » (shanshui). Cette petite digression n’en est peut-être pas une à la lecture de tous ces vides, soigneusement ménagés par Cécile Carrière dans ses peintures, (lointaine ?) évocation de l’art calligraphique chinois. Quant à savoir si elle donne la préférence au vide sur le plein, à la vie sur la mort, à l’espérance sur l’angoisse, je vous laisse le soin d’en juger par vous-même.
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