En perpétuelle quête de qualité, Denis Barbier entretient avec ses instruments une relation intime. Rencontre avec un luthier à fleur de peau.
Difficile de ne pas deviner le type d’instrument que Denis Barbier peut fabriquer, vendre ou réparer, quand on entre dans son bel atelier de Saint-Pierre-des-Nids, à quelques kilomètres de Pré-en-Pail. À peine le seuil franchi, on est accueilli par un trio de contrebasses ventrues devançant une colonne de violoncelles alignés comme à la parade, le tout survolé d’un essaim de violons. Ici, tout transpire la rigueur et la minutie que le métier de luthier inspire spontanément.
Le maître des lieux, les deux poings dans les poches de son tablier, explique : « Mon métier, c’est d’écouter jouer le musicien mais aussi de l’écouter parler de son instrument. Ici tout est fait pour que ce duo se sente bien. Je suis juste l’observateur d’un couple qui se crée et je peux ensuite, avec de la précision et de la patience, ajuster l’âme de l’instrument au mieux des attentes. »
Ce que Denis Barbier appelle « l’âme » est une pièce d’épicéa placée à l’intérieur des instruments à cordes, entre le fond et la table. « La position de cette pièce fait qu’un violon sonne ou pas. Entre un bon et un mauvais instrument, la différence se joue parfois à quelques millièmes de millimètre. »
Du plus loin qu’il se souvienne, Denis Barbier a toujours voulu fabriquer de ses mains : « Mon papa était passionné de menuiserie, il faisait des meubles. Et moi, j’étais dans les modèles réduits. » En parallèle, il découvre la guitare. Le jeune garçon timide voit alors dans la musique une manière d’aller vers le monde, une autre façon de s’exprimer. Mais c’est en feuilletant le livre Luthiers et guitares d’en France qu’il trouve sa voie : « Je me suis rendu compte qu’on pouvait concevoir des instruments avec ses mains. J’ai adoré jouer de la guitare mais à partir de ce moment, ma décision était prise : je voulais en fabriquer ».
Bon élève, il obtient son bac sans trop forcer et il décide d’intégrer une école de lutherie. Trop âgé pour l’unique école française de l’époque, il prend son baluchon, son courage à deux mains, et quitte la maison parentale de Saint-Léonard-des-Bois pour l’Angleterre et la prestigieuse école de lutherie de Newarck. Après avoir commencé une formation de lutherie en guitare, Denis migre vite vers l’école dédiée aux instruments à cordes frottées (violon, alto et autres) située juste à côté. Il va y passer quatre années pendant lesquelles sa passion ne cessera de grandir : « Pendant mes études, je ne pensais qu’à acheter du bois et dénicher de vieux outils bien forgés. Tout mon argent y passait ».
Besoin absolu de nature
Diplôme et beaux outils en poche, le jeune homme passe deux ans dans un atelier parisien, avant de se mettre au service de John Dilworth, un luthier anglais renommé. C’est en 2007 que, fort de ces expériences, il décide de rentrer au pays pour s’installer, avec la ferme intention de se consacrer à la fabrication. Il choisit de revenir dans sa région natale et déniche une petite boutique à Saint-Pierre-des-Nids. « Ici, il n’y avait pas de luthiers en violon. Qui plus est, la nature est splendide et j’avais un besoin absolu de voir des arbres. »
Très vite, Denis se rend à l’évidence, s’il veut gagner sa vie, il doit faire comme la plupart de ses homologues : se diversifier et jongler entre réparation, vente et location d’instruments d’étude. « J’envisageais de constituer un stock de 50 instruments à louer et j’en suis à 280 aujourd’hui. Je ne m’attendais pas à ce que la pratique et l’enseignement musical soient aussi dynamiques ici. »
Pas question cependant de déroger à sa ligne de conduite : « Je veux proposer la meilleure qualité, surtout pour les enfants : comment apprendre sur un mauvais instrument ? » Denis choisit minutieusement chaque instrument qu’il achète, en vue d’une location ou d’une revente. « Ils doivent être le plus artisanal possible. Ensuite, je les ajuste en retouchant le manche. C’est aussi moi qui pose le chevalet et règle l’âme. »
Pendant ces années, ce passionné de fabrication a dû mettre de côté la dimension créative de son métier. « J’aurais peut-être dû m’installer près d’un grand orchestre ou conservatoire pour me faire un nom. Et seulement ensuite me mettre au vert », avoue-t-il, sans regrets ni amertume. D’autant que le marché de l’occasion, très actif dans ce secteur, freine considérablement les commandes d’instruments neufs, également limitées par les prix de vente pratiqués : un violoncelle de luthier peut valoir 15 000 euros.
Malgré tout, ce grand bavard bouillonnant ne désarme pas. Le temps d’arrêt imposé par le confinement lui a permis de se poser, et d’envisager l’avenir différemment : « Je veux me dégager du temps pour renouer avec le travail du bois et la fabrication de mes propres instruments. »
Le fabuleux destin de Marion Middenway
Australienne que « la Mayenne a fini par attraper », Marion Middenway fabrique des archets très recherchés. Son atelier, petite bâtisse de pierres nichée au creux du bocage, tient du livre d’images. Dans ce coin du nord-est mayennais, à Saint-Pierre-sur-Orthe, cette Australienne a retrouvé la sensation, vitale pour elle, des grands espaces qui ont bercé son enfance. C’est dans la région d’Adelaïde, au sud de l’île-continent, que cette fille de musiciens professionnels commence à bricoler ses premiers instruments. Dès l’âge de 5 ans, elle pratique aussi le violoncelle, « un coup de foudre ». À 18 ans, en 1980, elle obtient une bourse pour poursuivre ses études musicales aux États-Unis. Son cœur alors balance : musique ou lutherie ? La jeune femme penche finalement pour la première option, tout en se promettant de revenir un jour au travail manuel. Vingt ans plus tard, alors que sa carrière l’a amenée en France et l’a vue jouer et enregistrer avec les orchestres de musique ancienne les plus prestigieux d’Europe (Stradivaria, Les Arts Florissants…), elle tient sa promesse. Entre deux concerts, la violoncelliste s’initie à la fabrication de ces objets « mystérieux » que sont les archets. Mal connu, le métier d’archetier existe pourtant depuis le 19e siècle, et requiert un savoir-faire très exigeant. « L’archet est une “machine” si simple que chaque détail devient critique et peut être déterminant pour le tout », explique-t-elle dans un français ne trahissant aucun accent. Destinés uniquement aux instruments anciens, contrebasse, violon ou viole de gambe à cordes en boyaux, ses archets s’inspirent de modèles découverts dans des vieux livres ou peintures d’époque. « Un vrai travail d’enquête historique. » Cinq à dix jours lui sont nécessaires pour confectionner un archet, qu’elle vendra entre 1 000 et 1 500 euros. Marion polit à la main le pernambouc, un bois venu du Brésil, ainsi que des essences locales : amourette, robinier ou prunier. Sa carrière de violoncelliste et son passé de prof en conservatoire lui ont permis de constituer un réseau que sa réputation grandissante a largement étendu. Petit à petit, son activité d’archetière fait jeu égal avec celle de concertiste. « Et cela ne risque pas de s’inverser », sourit la quinquagénaire, le regard tourné vers le bel horizon que dévoile son jardin.
Article paru dans le dossier « Dans l’atelier des luthiers » du numéro 69 du magazine Tranzistor.
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