Benoît Broyart et Thomas Scotto sont auteurs. En résidence dans l’Ernée, ils ont mêlé leurs plumes. Pour écrire des textes à dire à voix haute. Récit d’une résidence, de l’intime de la création aux rencontres avec le public.
« Ah, monsieur est un artiste à ce que je vois ! » Cette phrase, c’est Benoît Broyart qui l’a écrite, c’est Thomas Scotto qui l’a choisie. « En vrai, cet après-midi, je pourrais rester des heures les yeux sur l’eau. Des kilomètres d’heures, même. Me faire tout petit, le plus petit possible, me cacher dans une des bulles de ma respiration aussi. » Ces mots sont de Thomas. Benoît les a adoptés, pour amorcer un nouveau texte.
7 novembre 2017, le feu crépite dans la cheminée du gîte de Longuève, à Montenay. Clarisse Gougeon est là, qui accueille les deux auteurs en ce premier jour de résidence. Thomas et Benoît se connaissent un peu, ils se sont croisés lors de salons du livre, chacun apprécie le travail de l’autre. Clarisse a fait le pari de les rassembler pour cette résidence de quatre semaines, qui s’étalera sur une année, en quatre temps : novembre, janvier, mai et septembre.
Bibliothécaire de la communauté de communes de l’Ernée, Clarisse, avec ses collègues, a pour mission de faire vivre le réseau des bibliothèques du territoire tout au long de l’année. Ces 14 lieux, de la médiathèque d’Ernée aux 35m2 du point lecture de La Pellerine, reposent grandement sur l’engagement de 90 bénévoles.
Thomas et Benoît, déjà, devisent autour du feu et cherchent le thème sur lequel ils travailleront ensemble. Ils ont carte blanche, avec pour seule consigne : écrire des textes à dire, à lire à haute voix.
Voyage en cabine de douche
Réunir deux auteurs pour une création commune est un pari, mais ces deux-là ont des points communs. Ils sont des touche-à-tout de la littérature jeunesse : romans pour les tout-petits, premiers romans pour ados, scénarios de romans graphiques, livres documentaires… Ils publient chez des grands noms de l’édition (Actes Sud, Thierry Magnier, Le Rouergue, Glénat…) et chez des éditeurs plus artisanaux.
Ils discutent, cherchent ce projet qui les portera tous les deux pendant quatre semaines, et qui devra mêler leurs plumes. Et très vite, l’idée germe : « Et si nous parlions de ce qui nous anime dans l’écriture, ce qui nous pousse à écrire ? » « Je choisirais une phrase de toi, qui serait le début de mon texte et j’écrirais sur ce thème. » « Un peu comme un cadavre exquis mais à un coup. » « Et tu ferais de même. » « Et on verra bien si nos textes se répondent ou pas, se parlent ou pas, on verra. »
Thomas et Benoît sont des auteurs reconnus, pas des stars mais ils s’en fichent. Ils vivent de leur plume, pas comme des milliardaires mais là n’est pas l’essentiel. Ils sont prolifiques, ils aiment écrire des histoires, mais aussi les dire, les raconter.
Car tous deux défendent la lecture à voix haute. Pour diversifier leurs pratiques artistiques. Mais aussi pour atteindre un autre public, celui, adulte ou enfant, qui serait tenté par l’écran, la vidéo ou l’audio, plutôt que par l’écrit. Benoît a créé deux spectacles de lecture : il dit son texte Cavale juché sur un vélo et Les contes de la cabine dans une douche (fabriquée sur-mesure pour rentrer dans sa 206 !) avec laquelle il sillonne la France. Thomas Scotto a fondé avec deux auteurs L’Atelier du trio, qui propose des lectures de textes, les leurs ou ceux d’autres, dans des écoles, des médiathèques…
Trop beau !
Amener le public à la lecture à voix haute est un pari aussi. La saison culturelle et le réseau lecture de la communauté de communes de l’Ernée en ont fait le fil rouge de leurs actions cette année, ce qui explique la commande passée aux deux écrivains : produire pendant leur résidence des textes destinés à être lus, mais aussi aller à la rencontre du public.
10 novembre 2017, médiathèque de Juvigné. L’Atelier du trio va se produire, au complet (Cathy Ytak, Gilles Abier et Thomas). Inquiétude : le public, habitué aux spectacles, se déplacera-t-il pour assister à de simples lectures à voix nue ? 15 minutes plus tard, les chaises manquent, on écoute debout. Les bibliothécaires découvrent de nouveaux visages, des habitants qui n’avaient encore jamais passé la porte de la bibliothèque. Pari tenu. Parmi eux, cet écolier. Thomas est venu dans sa classe ce matin pour présenter son métier, raconter son plaisir d’écrire des histoires. L’auteur y lit des extraits de ses livres, les enfants écoutent, il s’interrompt, pose son roman, s’apprête à en débuter un autre quand l’enfant s’exclame : « Ce que tu as lu, c’est trop beau, ça m’a fait pleurer. » L’enfant est revenu, ce soir, il est là, il a amené toute sa famille. Il achète des livres. Pari gagné.
Gagné pour tout le monde : les lecteurs rencontrent des textes, les libraires de M’Lire et Jeux Bouquine, présents ce soir-là, vendent des livres d’auteurs qu’ils aiment, les enseignants et les bibliothécaires transmettent l’envie de lire, et in fine les écrivains peuvent vivre de leur plume. Car même des auteurs reconnus et prolifiques comme Thomas et Benoît pourraient difficilement vivre de leur métier grâce à leurs seuls droits d’auteur (quelques dizaines de centimes par ouvrage vendu). La résidence nourrit, vitalise cet écosystème qu’est le secteur du livre, et offre aux auteurs, socles de cet écosystème, un temps rémunéré pour créer, transmettre leur art…
Paroles d’enfant
12 mai. C’est au tour de Benoît d’être mis à l’honneur : après une rencontre avec les élèves des écoles de Chailland le matin, il présente sa lecture de Cavale à la bibliothèque. La voix de Benoît porte haut, le public est là, présent, attentif, il entend, reçoit le récit.
Les textes à quatre mains, deux plumes sont maintenant écrits. Reste à les mettre en voix, les mettre en scène. Ce travail a débuté avec la comédienne Caroline Girard, fondatrice de la compagnie La liseuse, spécialiste de la lecture à voix haute. Il se poursuivra lors du dernier temps de résidence, ce mois-ci, qui aura pour point d’orgue la lecture des textes au public par leurs auteurs, ce vendredi à Andouillé. Un livre, fruit de cette collaboration féconde, devrait naître aussi, début 2019. Sans grande surprise, les mots de Thomas et Benoît se font écho. Chacun a son enfance dans laquelle s’est enracinée le plaisir ou le besoin d’écrire. La matière est différente évidement, mais on entend chez chacun la voix de l’enfance, leur enfance. C’est peut-être cela un écrivain jeunesse : un adulte qui sait tendre l’oreille à l’enfant qu’il a été, et lui donner la parole, à voix haute. « Ah, monsieur est un artiste à ce que je vois ! »
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