À mi-chemin entre l’art et l’artisanat, à la fois brutes et décoratives, les céramiques de Farida Le Suavé, à voir à la Chapelle des Calvairiennes à Mayenne, bousculent notre conception du corps.
Flirtant parfois avec le fétichisme tout en portant un regard ironique propre à la désacralisation de l’œuvre d’art, ses sculptures entretiennent avec l’objet un rapport ambigu, sans jamais fournir de réponses propres à restaurer notre équilibre.
Pour définir son travail, le site de l’artiste se limite en effet à quelques mots-clés, « énergie, présence, subjectif, sensation, émotion »… Mais ses œuvres ne s’arrêtent pas au seul travail de l’argile, et à sa restitution dans l’espace d’exposition, dépourvu de socle et à échelle humaine.
Son engagement dans la matière est tout bonnement impressionnant, le colombin, la technique qu’elle emploie, réclame la pression de ses mains pour chaque centimètre d’élévation gagnée. « Il n’y a pas de tour dans l’atelier de Farida Le Suavé » renseigne Mathias Courtet, coordonnateur du centre d’art contemporain et commissaire de cette exposition. On comprend alors quelle lutte contre la pesanteur mène l’artiste au quotidien ; comment l’affaissement, l’avachissement, le plissement, le craquèlement de la chair comme de l’argile sont devenus le principal sujet de ses sculptures. Ajoutons à cela que l’œuvre, par l’implication physique qu’elle réclame à son auteure, en devient le moule ou l’empreinte, faisant en cela écho au travail de Giuseppe Penone. Son utilisation de la terre, matériau premier, voire originel, renvoie aux arts primitifs et aux Natures de Lucio Fontana. Quant au souci d’élévation de la matière évoqué plus haut, il prend dans les derniers travaux de la céramiste une « tournure » des plus phalliques, symbole de l’énergie créatrice dans la plupart des arts premiers. Les intentions de l’artiste et son « rapport à l’objet » ne sont finalement peut-être pas si « ambigus » que cela !
À ces sculptures, Farida Le Suavé superpose deux autres couches de signifiant. La première est constituée de postiches ou rehauts appartenant sans conteste à notre monde contemporain (tatouages, chapeau texan, satin ou velours, chaînettes, bouée de sauvetage, manche à air), fortement connotés et entrant en collision avec la sculpture à la manière du mouvement Arte povera, mais sous forme humoristique. La seconde couche est appliquée à l’aide du langage, dans les titres ou directement inscrit sur la céramique (Blow, Soliloque, I love you, etc.).
L’œuvre décline soigneusement ses différentes composantes dans les salles de la chapelle, l’engagement citoyen et sportif à gauche, le corps féminin au fond et l’animalité dans la nef centrale ; une véritable réjouissance pour tous ceux qui redoutent cette terrible période de fin d’année où l’on ne sollicite que portefeuille et cerveau reptilien !
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