Pour fêter la 10e édition de la compile, Tranzistor invite 5 artistes y figurant à jouer sur la belle scène du Théâtre Les 3 Chênes à Loiron-Ruillé. Une émission aussi exceptionnelle qu’éclectique, du métal surpuissant de The Discord à la pop électro intimiste de Johannes, du rock musclé de Inside the inside à la douceur acoustique des chansons de Fawkes et de La Croqueuse.
Que des numéros 10… pour cette émission anniversaire ! 10 comme la 10e compile Tranzistor bien sûr mais aussi comme les 10 ans que fête cette année le Théâtre Les 3 Chênes. À l’instar de Fawkes et La Croqueuse, qui soufflent également leurs 10 bougies en 2023 !
Fatalement en 10 ans, leurs routes ont souvent croisé celle de Tranzistor. Idem pour Johannes ainsi qu’Inside the inside et The Discord, dont une partie des musiciens étaient déjà présents, au sein respectivement d’Homestell et k.driver, sur la première compile Tranzistor, sortie en en 2005 ! Leur présence à cette émission anniversaire s’imposait d’autant plus…
Premier invité de cette émission, Fawkes la joue en mode « rétrospective ». De sa toute première chanson, écrite en 2013, à son dernier titre en date, « La Cabane », il balaie 10 ans de musique avec un live démarré seul pour se poursuivre en trio. La boucle est bouclée. En solo depuis ses débuts, Charles-Henri Gilot tourne la page de son aventure solitaire pour démarrer une nouvelle histoire, qui s’écrit désormais à trois, avec Corentin Gisse (batterie, claviers) et David Brûlé (contrebasse).
Mais qu’il soit seul ou accompagné, les chansons du géant barbu et de son inséparable ukulélé conservent leur patte inimitable, qu’imprime sa voix aux accents de falsetto, évoquant ses maîtres M ou Matthieu Boogaerts. Autres traits de caractère majeurs : son plaisir gourmand de la langue et un humour gentiment moqueur, teinté souvent d’une légère mélancolie que contrebalance une syncope doucement funky. Un groove qu’amplifie avec une énergie méchamment contagieuse la nouvelle formule en trio : sur le conclusif « Bisachewie », le public ne se fait pas prier pour battre des mains. Certains étant même à deux doigts (de pied) de se lever pour danser la samba.
Depuis son avènement il y a 10 ans, La Croqueuse n’a rien perdu de son mordant. Le quartet croque à pleines dents les travers de notre temps : critique drolatique mettant en scène un « fâcheux » aussi bavard qu’égocentrique, fable écolo anti-Monsanto (accessoirement, Pascal Richard, chanteur, compositeur et parolier du groupe, est aussi paysan)… Se faisant davantage graves et poétiques, certaines chansons explorent un versant plus personnel, exorcisant, avec une pudeur touchante, fêlures et blessures intimes (l’indifférence d’un père, la disparition d’un frangin…).
Au commencement était le verbe…Point de départ des chansons, le texte ici est central, porté par des mélodies simples que viennent enrichir les harmonies vocales de François Soutif. S’y ajoutent avec justesse les arrangements servis par la contrebasse jazzy d’Olivier Dupuy et la guitare aux accents swing manouche de Léo Lacroix. Ces quatre-là semblent liés par une belle fraternité, qui infuse dans leurs chansons 100% fait main par des humains.
Seul, Johannes l’est depuis ses débuts en 2018. Un choix qui s’imposait tant ce projet constitue pour lui une catharsis, un endroit où déposer ce qui le traverse, le touche et le remue. Remué, difficile de ne pas l’être quand on le voit, en live, se mettre à nu dans toute sa vulnérabilité. Sur scène, Jérémy Frère habite avec une rare intensité les émotions qui ont donné naissance à ses chansons hors format. La performance est d’autant plus impressionnante qu’il pilote simultanément rythmiques électroniques, bidouillages de synthés analogiques, violon, samples vocaux ou musicaux enregistrés en direct… Seul, il n’en parvient pas moins, grâce à ses machines, à donner un tour orchestral à ses « symphonies obsessionnelles ».
Après le superbe « The way we’ve hated », développé sur près de 8 minutes, Johannes ose une reprise improbable de « Bambino ». Éclairé d’une lumière crue, presque livide, la chanson de Dalida prend une tournure tragique, poignante et déchirante. Présence scénique à la raideur vibrante, interprétation habitée, quasi théâtrale… Soudain passe, fugace, le fantôme du grand Jacques Brel. Au premier rang, un métalleux écrase discrètement une larme…
Changement de tempo et de volume sonore avec Inside the inside. Guitares tranchantes, basse tellurique au son plein et saturé… Les gros amplis sont de sortie ! Réunis depuis 2019, ces quatre-là n’ont pas la prétention (folle) de réinventer le rock’n’roll. Mais, dès leur premier EP (paru en avril 2023), ils sont parvenus à en façonner une version bien à eux. Cocktail bien frappé et parfaitement dosé de leurs influences, quelque part entre la puissance mélodique d’Incubus et le son plus abrasif et violent de Fugazi ou Shellac.
Mises en place réglées au millimètre, son velu et parfaitement maîtrisé, basse-batterie qui pulse grave… Mené par deux « vieux » briscards de la scène rock lavalloise (le guitariste Guillaume Payen et le bassiste Lionel Houillot), le groupe a de la bouteille et ça s’entend. À déguster de préférence une bonne bière (locale) à la main, et les oreilles grandes ouvertes pour profiter des textes, signés par Alexandre Chassagne, chanteur-guitariste du quartet. Évoquant notre rapport (défaillant) au vivant ou les dangers écologiques qui menacent la vie sur Terre, l’écriture est pour lui comme un exutoire, un rempart à l’eco-anxiété, qui le ronge comme beaucoup d’entre nous.
Un exutoire, c’est aussi comme cela qu’HP, bassiste et chanteur de The Discord, envisage son rapport à la musique. Quel genre mieux que le métal permet de se délester des tensions et émotions négatives qui nous traversent. Dire la violence pour mieux l’évacuer. The Discord ne parle que de cela, de la violence, des peurs et des dangers d’un monde qui ne cesse de se polariser, où les parties qui s’affrontent ne partagent même plus une vérité commune.
Piliers du metal made in Laval depuis plus de 20 ans, HP Bohers et Nico Franchi lancent The Discord en 2019, rejoint par Pierre « Rickpied » Bouilly à la guitare. Un album (signé sur le label rennais Katabomb Records) et un passage au Hellfest plus tard, le trio met tout le monde d’accord : pas d’esbrouffe technique (« Plus on avance, moins on en met », résume HP), pas de chichi, c’est du brutal, net, clair et précis. On oscille entre plans metal en béton armé et rage hardcore attisée par le chant hurlé de HP. Sur scène, le groupe impressionne par sa cohésion, enchaînant les morceaux à tombeau ouvert, rouleau compresseur à la précision et la puissance implacables.
Au premier rang, les métalleux heabanguent sagement sur leur fauteuil, tandis qu’en arrière-plan une mamie septuagénaire hoche la tête en rythme, visiblement conquise.
Une image parfaite pour conclure cette soirée anniversaire : (é)mission réussie !
Une émission proposée par Mayenne Culture, en partenariat avec Le Théâtre Les 3 Chênes / Laval Agglomération, L’Autre radio et L’Œil Mécanique.
Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme : interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité.
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