Quand on s’apprête à rencontrer un groupe de musiciens traditionnels mayennais, l’imaginaire a de quoi gambader au pays des préjugés. Babas cool fumeurs de joints ? Vieux de la vieille un brin nostalgiques ? Que nenni ! Rencontre avec BLANCHE ÉPINE, trio piquant et plein de sève.
Ce lundi un peu gris quand nous les rencontrons, les membres de Blanche Épine ne sont pas au complet. Manque Roger Leroux, le violoniste. On s’installe dans le salon de Jean-Yves et Elizabeth Barrier, couple à la vie, compagnons de scène. Les Barrier ont de la passion et des idées dans le moteur. Eux carburent au partage. Leur came, c’est les autres. Ils se sont rencontrés dans un cours de danses bretonnes. Lui jouait de l’accordéon, elle, se trémoussait sur la piste. Et rien ne semblait pouvoir les arrêter.
Branché par la musique traditionnelle, l’étudiant en économie à la fac de Rennes 2 baigne dans un univers post 68. Il découvre les musiques bretonnes. « C’était à la mode dans les années 70, l’époque d’Alan Stivell et de la première vague folk », se souvient Jean-Yves. Loin des tubes qui caracolaient au Top 50 et de ce qui passait de manière générale sur les ondes. « Les musiques traditionnelles n’étaient pas médiatisées, mais un courant à part se développait avec une forte pratique amateur. » Le tout porté par des valeurs « anti-showbiz », un intérêt pour le patrimoine et l’attrait social de la danse : en couple ou en ronde collective, on échange, on danse ensemble, on change de partenaires…
À ce qu’il paraît, une chanson qui fait jaillir de l’émotion dans le coeur des gens est une bonne chanson : quand elle vous enflamme, qu’elle fait penser aux absents et à l’être aimé ou qu’elle donne envie de tortiller des fesses. Les chansons traditionnelles, c’est un peu tout ça. On y parle d’amour, de mariage, de départ à la guerre, du temps qui passe, d’ivresse. Beaucoup d’air puisent leurs origines dans le 18e siècle. « Ce sont des musiques du passé, mais qui ont encore quelque chose à nous dire », défend Jean-Yves Barrier.
La vierge et la sorcière
Dans leur maison aux volets bleus, à Chailland, sur la route d’Ernée, l’infirmière de profession est aux petits soins avec nous. Lui, l’instit, farfouille dans sa mémoire pour nous raconter la genèse de Blanche Épine. L’histoire commence en 1980, avec le collectage mené en Mayenne par l’ethnomusicologue normand François Redhon, qui parcourt alors le département pour collecter des chansons, des danses et des mélodies auprès des derniers témoins de cette tradition. C’est pour faire vivre ce patrimoine que le groupe Fouette-Chat se forme alors. François Redhon, à la vielle et au chant, et Anne Piraud, à la clarinette et au chant, cherchent un accordéoniste. Jean-Yves Barrier, qui contribue alors bénévolement au collectage, les rejoint en 1981.
Le groupe anime des bals folk où il joue des morceaux issus de la collecte mayennaise. D’anciennes danses populaires y fleurissent en couple fermé (valse, polka, mazurka) et en face à face (avant-deux) ou bien en cortège comme la pascovia ou l’aéroplane.
Mais en 1985, l’aventure du Fouette-Chat s’arrête. La même année, Jean-Yves crée Blanche Épine, inspiré du nom donné en Mayenne à l’aubépine, symbole double de la vierge et de la sorcière. La formation compte Jean-Yves Barrier (vielle à roue, accordéon diatonique, clarinette, flûte et chant), Elizabeth (accordéon diatonique et chant) et Yannick Barrier, le frangin, à la flûte, au hautbois et à la cornemuse.
Au fil des ans, le groupe connaît des mutations : Roger Leroux (violon) arrive en 1993. Yannick Barrier est remplacé par Arnaud Thomas. Aujourd’hui, Blanche Épine, c’est un trio : Elizabeth, Jean-Yves et Roger qui revendiquent un « traditionnel libertaire » véhiculant des idées progressistes. Loin du traditionnel que s’accaparent certaines mouvances politiques. « Le propre de la chanson folk, c’est la multitude de versions qu’elle connaît et la liberté qu’elle offre à chacun de se les réapproprier », glisse Jean-Yves Barrier.
Le musicien prend du plaisir à remettre le nez dans les bandes de collectage où il déniche « des pépites », que le groupe intègre parfois dans le programme de ses bals. En 2000, Blanche Épine sort un album, La tête ailleurs, regroupant un répertoire mayennais. Les 1000 exemplaires du disque, aujourd’hui épuisé, s’écouleront rapidement.
Guinche toujours
Depuis sa création, Blanche Épine a animé d’innombrables bals ainsi que des veillées, des ateliers et des stages en Mayenne et ailleurs. Pas toujours visible, le petit monde du folk en région est pourtant vivace, et draine un public fidèle et passionné. Des bals folk et fest-noz sont organisés régulièrement en Mayenne, fréquentés notamment par la dizaine d’ateliers de danse trad que compte le département. Face à la demande, et emploi du temps chargé oblige, le groupe n’accepte pas plus d’un contrat par mois.
En 2015, le trio a animé une dizaine de bals. Depuis deux ans, les sollicitations se font un peu moins nombreuses. « On constate une baisse générale, liée à des contraintes économiques, de sécurité, etc. de plus en plus pesantes », justifie Elizabeth. Pour autant, « l’envie est toujours là. Le plaisir vient aussi de la rencontre avec d’autres musiciens ».
Leur parcours prend aussi le chemin de la transmission. Enseignant à l’école maternelle publique d’Ernée, Jean-Yves Barrier propose à ses élèves un éveil musical. Il partage avec eux des chansons enfantines et des berceuses traditionnelles, accompagnées à l’accordéon ou à la vielle. « Ils sont toujours émerveillés de voir l’instrument en vrai ». Mais le plus gros de l’activité demeure les bals et les stages de danse et d’accordéon pour adultes. D’ailleurs, l’accordéoniste diatonique donne des cours à quelques amateurs mayennais passionnés.
Le couple Barrier profite aussi de son temps libre pour participer à des stages de danses. « Notre truc, c’est la contre-danse anglaise », sourit Elizabeth. Cet été, après avoir participé à la 12e édition des 24h du bal dans le Limousin, le couple guinchait au Grand bal d’Europe, dans l’Allier. Oui, l’envie est toujours là.
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