Homme de terrain, MAXIME LEDUC met au service du festival Au Foin de la rue depuis trois ans ses compétences, son expérience et le réseau qu’il s’est construit. Ce Nancéen en Mayenne nous parle de son approche du métier de programmateur qui est (entre autres) le sien. Un métier, moins romantique que certains pourraient l’imaginer, entre choix artistiques, négociations commerciales et militantisme associatif.
Du spectateur au programmateur
Maxime Leduc : À 15 ans, tout mon argent de poche passait dans la musique : CD, concerts. Et puis il y a eu le déclic des Eurockéennes et ses scènes immenses. Je me suis dis : « Je vais essayer d’aller voir ce qui se passe derrière le rideau » . Tout ça est intimement lié : écouter beaucoup de musique, être curieux, aller aux concerts et te dire à la fin : « c’est fini… à quand le prochain ? » J’ai voulu prolonger ces moments et en faire mon quotidien. J’ai commencé comme bénévole aux barrières, puis derrière le bar. Pour mon stage de fin d’études, je me suis naturellement tourné vers le plus gros festival de musique de ma ville, le Nancy Jazz Pulsations. J’y ai beaucoup appris. Puis avec quelques potes, nous avons monté et géré une salle de concert pendant trois ans à Nancy. En 2008, j’étais au Foin.
Programmateur mais pas que
Hormis le fait d’aligner des noms dans une case, la programmation, ça consiste aussi à créer une dynamique autour du festival. C’est la partie immergée de l’iceberg : développer son réseau, se faire connaître et reconnaître. C’est un travail basé sur l’humain. Montrer qu’on est présents et qu’on ne reste pas dans notre coin. Je représente le festival sur d’autres événements. J’y rencontre d’autres programmateurs, des tourneurs, mais aussi des représentants de la SACEM, de fédérations, d’autres réseaux… Je suis aussi régisseur général du festival et chargé de production. La production, c’est le suivi logistique des contrats signés avec les artistes accueillis : la gestion des repas, de l’hébergement, des transports, les déclarations SACEM, le suivi technique, etc. Ce sont les rouages de la programmation, la mécanique. C’est ce qui fait que les artistes arrivent heureux, sont contents d’être là et, en retour, font un bon show sur scène. Quand tu coordonnes, que tu diriges, il faut connaître tous les maillons de la chaîne : je suis coordinateur de festival, bénévole, festivalier. J’ai collé des affiches, vidé des chiottes, tenu des bars, accueilli et conduit des artistes, etc.
Comité électrique
Au Foin de la rue, la programmation est validée par un comité constitué d’une dizaine de bénévoles. C’est assez unique comme fonctionnement. Cela permet de ne pas déposséder les bénévoles de l’événement. Si ce comité peut représenter une frustration, car tu n’es pas libre de tes choix, l’avantage est que la responsabilité de la programmation est assumée par un collectif. Le comité est garant de l’esprit populaire et festif qui fait l’identité du festival. Tout en respectant ce cahier des charges, j’y injecte les choses que j’ai envie de défendre et ce que je pense judicieux pour faire évoluer le festival.
Il faut d’abord que ça me plaise, c’est mon premier critère de sélection. Personne ne veut voir dans sa prog’ un groupe pour lequel il n’a pas d’estime. On aime toutes les têtes d’affiches qu’on programme, c’est ce qui permet aussi de faire de la super découverte en dessous. Entre évidemment aussi en jeu le critère financier : il faut faire quelque chose qui tienne la route en terme de fréquentation. L’objectif n’est jamais de gagner de l’argent mais au moins d’équilibrer pour pouvoir organiser une édition l’année suivante. Je fais des propositions au comité. Heureusement, tous les membres ne s’expriment pas sur chaque groupe : ce serait ingérable ! Il y a ceux qui ont un regard plutôt économique, souvent les instances dirigeantes. Ils se prononcent plutôt sur le haut de l’affiche. D’autres vont par contre surtout s’intéresser au bas du tableau et te balancer toutes les découvertes qu’ils ont faites dernièrement sur le net ou en concert. Ce sont d’ailleurs souvent les débats concernant le bas du tableau qui sont les plus électriques. Le tout est de faire des compromis : défendre ses convictions et les mettre de coté quand tu as la majorité contre toi. Je dois garder à l’esprit que ce sont les bénévoles qui portent et font vivre le festival et sa programmation. Ça devient dangereux quand tu oublies que tu as des gens à faire rêver. Tu dois faire le funambule entre ce que tu crois qui pourrait plaire au public et ce que tu vas programmer pour ton plaisir. Tu peux te planter facilement. Sur une salle, tu peux te tromper sans que ça ne mette en péril ta saison, sur un festival non.
Des hippies qui sentent la chaussette
Pour beaucoup de personnes, un festival comme Au foin de la rue reste le fait d’un groupe de hippies qui sentent la chaussette et qui font les cons dans les champs pendant deux jours. Cela évoluera avec la nouvelle génération d’élus, qui ont souvent une certaine culture rock : ils comprennent et sont donc plus sensibles à ce qu’on propose. En quelque sorte, les free parties font aussi du bien au monde des festivals : l’image de mecs qui font n’importe quoi et mettent les champs dans des états pas possibles… Les élus font la différence et se disent : « Les festivals, c’est carré, c’est clean, sécurisé. Il y a des moyens au niveau sanitaire, sécurité, qualité du son… » Le milieu s’est structuré et professionnalisé.
La mécanique de la programmation
En octobre, je commence à reprendre contact avec les tourneurs. C’est à cette période qu’ils commencent à définir « ce qu’ils vont mettre sur la route ». Avec ceux que tu connais, ça se fait assez rapidement parce qu’ils savent ce qui peut rentrer artistiquement et budgétairement dans ta programmation. On s’occupe d’abord des têtes d’affiche. Ça représente le plus gros volume financier donc ça conditionne le reste de la programmation. C’est une bataille parce que tout le monde veut les mêmes groupes. Faut pas rêver : il y a peu d’artistes dans nos tarifs qui sont disponibles sur nos dates. Donc il y a concurrence. Pour les groupes « découvertes », c’est plus simple. J’essaie de trouver un équilibre, une cohérence entre les artistes au fur et à mesure que la programmation avance. Je n’invente rien : j’assemble.
Pas très romantique
Pour les gros tourneurs, c’est l’argent qui l’emporte. On n’est pas dans une position de force et on ramasse les miettes des festivals plus renommés. On est parfois le bon point sur la route entre deux dates. C’est surtout comme ça qu’on dégote les belles têtes d’affiches. Ce sont elles qui vont accrocher les médias ou les tourneurs d’autres groupes pour la suite. Il y a aussi le business : « Prends-moi telle découverte et je te fais un prix sur telle tête d’affiche ».
C’est vrai que je suis dans la position d’un acheteur qui doit entrer dans un jeu de séduction commerciale. Je suis devenu ami avec quelques tourneurs. Mais avec les autres, c’est du pur commercial : tu discutes, tu temporises, tu sens quand le tourneur a besoin de la date… Tu t’amuses comme au poker : tu n’abats pas toutes tes cartes, tu bluffes en disant que tu n’es pas intéressé mais que si c’est pour rendre service… Tu entres comme ça dans la négociation et c’est marrant : tu cours toujours après quelqu’un, en l’occurrence les têtes d’affiche, et y a tout le temps quelqu’un qui te court après : les groupes qui cherchent des dates !
Aller voir ailleurs
Je ne programme pas tout ce que j’écoute. Par contre, j’écoute tout ce que je programme ! J’assiste environ à huit concerts par mois et je passe mes vacances dans les festivals surtout des pays de l’Est. Souvent, je ne connais que trois noms sur l’affiche, donc je découvre… Je troque mes badges, mon talkie-walkie et ma panoplie d’organisateur contre mes baskets, mon réchaud, mon paquet de pâtes et ma tente. Je passe les concerts dans le public. Je ne rechigne jamais au pogo ni au slam une fois mes baskets resserrées. Un public se vit de l’intérieur : la poussée de foule, la clameur, il faut la vivre et y participer. Je cale mes temps d’échanges professionnels en fonction de la programmation et pas l’inverse.
Légendes jamaïcaines
Je me tiens aussi au courant de l’actualité sur le net, je sillonne MySpace d’amis en amis. Je reçois les catalogues des tourneurs, dans lesquels je ne connais pas la moitié des groupes, mais auxquels je fais confiance. Je découvre aussi beaucoup de choses grâce aux potes… J’aime autant faire découvrir de la musique qu’on m’en fasse découvrir. C’est exactement le même plaisir. C’est nécessaire, je pense, d’avoir une certaine culture musicale quand tu fais de la programmation. Mais ça n’est pas une fierté, c’est une envie à la base, une curiosité et une soif de découvertes. Ceci dit, une programmation est conditionnée par les objectifs et la taille de l’événement ou du lieu : celle d’une salle de 1500 places peut se faire sans forcément disposer d’une culture musicale ultra pointue en rock barré ou en électro. L’essentiel, c’est de ne pas se dire, comme peuvent parfois le faire certains : « ce groupe, que j’ai découvert il y a 10 ans, c’est naze parce que déjà vu ». Tu peux dire simplement que ça ne te plait plus. Un vieux groupe de reggae, par exemple, c’est du déjà vu pour des trentenaires alors que des ados d’aujourd’hui vont être attirés par ces légendes jamaïcaines. Je pense qu’un concert ça doit d’abord parler aux tripes. Si ça donne envie au public d’aller creuser un petit peu plus loin tant mieux ! Il faut savoir ce qui peut être partagé par le public auquel tu t’adresses. Ma prog’ à moi, je me la fais le soir derrière mes platines : faut pas confondre.
Militantisme et routine
Quand tu travailles pour une salle ou un festival, tu dois te remettre en question en permanence, rien qu’au niveau des subventions pour lesquelles il faut te battre tous les ans. Tu es forcément militant. On ne sait pas de quoi demain sera fait, ni à quelle sauce on va être mangés. Mais on y retourne, on essaie toujours de faire plus et mieux, d’aller plus loin, de faire venir plus de monde, de plus loin. On s’ouvre à de nouvelles choses, pour progresser en permanence, en allant par exemple voir ce que font les autres. À 30 balais, j’ai encore le jus du militant passionné qui va se remettre en cause, innover. La limite de ce travail, c’est toute la partie administrative, rédiger des dossiers de sécurité, etc. Ça m’éclate moins, je l’avoue. Mais le mode de vie qu’offre ce métier permet de passer au dessus de toutes ces petites contraintes : les courbettes, la recherche de financements, etc. C’est marrant parfois, mais quand tu n’as pas envie, il faut quand même le faire !
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