Certains attendaient cela depuis 20 ans. Une salle associative, défendant le « cinéma d’auteur dans toute sa diversité » ouvre ses portes à Laval. Découverte en avant-première de L’Avant-scène cinéma, avec sa coordinatrice, Karen Raymond, amoureuse militante du 7e art.
D’emblée, hors antenne, avant qu’on ne démarre l’interview, elle confie : « le cinéma, c’est toute ma vie. Je mange, je bois, je vis cinéma depuis près de 40 ans ». Née au milieu des années 70 en région parisienne, Karen Raymond grandit dans une famille où l’art et la culture occupent une place centrale. À la maison, il y a des livres, des disques, la radio… mais pas de télé. Alors pour voir des films, à 12 ans, elle fait le mur et écume les cinés du quartier. Premiers chocs. Et vite s’ancre en elle la conviction intime que sa place est là, dans ces « bulles » à l’écart du monde que sont les salles obscures.
À 16 ans, elle devient ouvreuse – « chaque jour, on voyait cinq fois le même film » -, puis obtient un CAP d’opératrice-projectionniste, avant de devenir monteuse. Elle s’essaie aussi à la critique de cinéma et soutient une thèse d’études cinématographiques en 2000. Elle travaillera une dizaine d’année avec Marin Karmitz, figure clé du cinéma indépendant hexagonal, producteur, distributeur et fondateur des cinémas MK2. Karen assurera la direction-programmation de plusieurs d’entre eux en région parisienne. Elle passe ensuite par Bourges, Issoudun et atterrit en 2008 – « pour se mettre au vert » à Laval, où elle assure la direction adjointe du Cinéville jusqu’en 2015.
Après une pause – le temps notamment de passer un master des métiers de l’éducation –, le cinéma se rappelle vite à elle : Karen créé l’association CinéLigue53, prémisse de L’Avant-scène cinéma, initié par la Ligue de l’enseignement – FAL 53, dont elle est désormais salariée.
Jus de pomme local
Salle de cinéma jusque dans les années 90, le Foyer culturel, rebaptisé L’Avant-scène, mue en salle de spectacles dans le courant des années 2000. Aujourd’hui, le lieu retrouve sa fonction d’origine pour répondre à l’absence d’une offre de cinéma d’art et d’essai riche et diversifiée à Laval. Un manque objectivé par une récente étude menée par la FAL53 et souligné depuis plus d’une décennie par plusieurs pétitions rassemblant de nombreux signataires.
L’actuelle équipe municipale, qui avait fait du sujet une thématique de sa campagne électorale, ne pouvait que soutenir activement ce projet. État, Région, Département, et Ville donc, ont contribué au financement des travaux que nécessitaient la transformation du lieu en salle de cinéma, soit 240 000 euros.
Projecteur laser dernier cri, système son 7.1 high tech, fauteuils à l’assise large et confortable… « On vient au cinéma parce qu’il offre une qualité et une immersion dans le son et l’image qu’aucun home cinéma n’offrira jamais », assure Karen, qui souligne aussi la dimension collective unique de l’expérience cinématographique. Faire du cinéma un espace ouvert de partage, d’échange, de rencontre, c’est tout l’enjeu du lieu.
Au café-salon de thé de l’Avant-scène, on pourra siroter un jus de pomme local ou un expresso bio pour prolonger la séance, assister à un débat ou un atelier… Rencontres avec les réalisateurs ou équipes des films projetés, ciné-débats co–programmés avec des assos locales sur des sujets tels que le féminisme, l’écologie, l’alimentation… L’équipe de L’Avant-scène ne se privera pas d’activer ce formidable outil de réflexion, de prise de conscience et d’éducation populaire que peut être le cinéma.
Petit poucet
Quant à la programmation, hors de question qu’une personne concentre seule les choix des films. Collective et participative – « c’est moins efficace mais beaucoup plus riche et intéressant » rigole Karen, la prog’ est partagée au sein de l’équipe de quatre salariés du cinéma, ainsi qu’avec les nombreux bénévoles que le lieu fédère déjà. Tandis que le public pourra faire part de ses souhaits via une « boîte à films »…
Proposant 24 séances par semaine, la programmation, ciblant le « cinéma d’auteur dans toute sa diversité », se veut complémentaire, et non concurrente, de celle du Cinéville. Avec ses 124 fauteuils et ses 20.000 entrées annuels espérées, l’Avant-scène fait de toute façon figure de petit poucet face aux neuf salles et au demi-millions d’entrées du complexe lavallois.
La programmation de l’Avant-scène combinera sorties nationales hebdomadaires et films du patrimoine cinématographique récents ou plus anciens. Ainsi sont prévues en novembre et décembre un nuit Miyazaki, la projection des chefs d’œuvres Métropolis, Citizen Kane, Orange Mécanique ou Jackie Brown de Quentin Tarantino…
Boucles de cheveux au vent, yeux pétillants sous de grandes lunettes, Karen fourmille d’idées et de projets, qu’elle détaille d’un débit ultra-rapide. Avec une douce détermination et un enthousiasme contagieux, elle insiste sur l’éducation à l’image, au centre du projet du cinéma, qui multipliera les séances jeune public, les programmations scolaires dans le cadre de dispositifs nationaux tels que Collège au cinéma…
Elle souligne aussi la politique tarifaire très accessible mise en œuvre, rappelle que l’Avant-scène reste un lieu de spectacle (qui accueillera notamment le festivals J2K et le Chainon manquant) et rêve à la création d’ « un studio » qui permettait de s’initier à la prise de vue ou au montage… Le film ne fait que commencer, et c’est avec le public qui s’écrira la suite du scénario !
Playlist
1- Cat Stevens – If you want to sing out
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