Grande figure de la musique créole, Dédé Saint-Prix était cette année l’invité du conservatoire de Laval agglo. Pendant plusieurs semaines, il est intervenu dans les écoles, maisons de quartier, crèches, hôpitaux… Rencontre avec un musicien hors du commun.
Janvier 2020. École élémentaire Germaine-Tillion, quartier des Pommeraies à Laval. La fin de la récré vient de sonner. Dans le hall de l’établissement, une séance de travail un peu particulière se met en place. « Bel bonjou, tout l’monde ! » « Bel bonjou, Dédé ! » Calé derrière son tambour, André « Dédé » Saint-Prix fait face à une quarantaine d’enfants assis à même le sol. En une fraction de seconde, l’artiste embarque tout ce petit monde sous le soleil de la Martinique, son « bel péyi » de frangipaniers et de bananiers. La magie opère.
Élèves en classe de cm1 et cm2, tous pratiquent le steel band à l’école, sous la direction de Jean Duval, professeur de percussions au conservatoire et intervenant en milieu scolaire. C’est lui qui a initié ce projet autour de la culture créole. « Je suis la carrière de Dédé Saint-Prix depuis des années. C’est LA référence en matière de musique antillaise. » Par l’intermédiaire d’un ami commun, saxophoniste, l’enseignant entre en contact avec l’artiste. Très vite, le courant passe. « Je fonctionne beaucoup au feeling, et il a tout de suite été excellent ! », confirme Dédé.
Au programme de la rencontre d’aujourd’hui – la deuxième d’une série de quatre –, l’apprentissage de plusieurs titres du répertoire du Martiniquais, mais aussi quelques chants traditionnels créoles que les enfants s’approprient avec bonheur. Une partie des élèves assure l’accompagnement aux percussions.
« Je suis un musicien social, un passeur », revendique l’artiste. « J’aime transmettre aux jeunes générations, et j’essaie toujours de valoriser l’autre, de lui permettre d’exprimer ce dont il est capable. » Jean Duval opine du chef : « Nous avons beaucoup de chance de pouvoir travailler avec Dédé ! On apprend énormément à son contact. Il est sincère, franc, et possède de grandes qualités humaines. Il parvient à emmener les gens très loin, en faisant preuve de beaucoup de rigueur. C’est un grand monsieur ! »
Musicien sans frontières
Né aux Antilles dans une famille modeste, Dédé se passionne très tôt pour la musique. Dès l’âge de 8 ans, il passe son temps libre au chouval bwa, le manège traditionnel de la Martinique, où viennent jouer les musiciens locaux. « Je poussais le manège pendant des heures. Ce qui m’intéressait, c’était d’être aux pieds des musiciens… Je n’ai pas reçu de formation classique. J’ai appris la musique comme ça, en allant dans les bals, en écoutant la radio… »
En 1968, à seulement 15 ans, Dédé enregistre son premier disque, joue dans différents groupes, puis crée Pakatak, une formation rythmique un brin expérimentale. « Déjà, à l’époque, on mettait le feu ! », se souvient-il. Dans les années 80, il connaît son premier grand succès avec la chanson « Piblicité », fait l’Olympia… Au cœur de sa musique, le chouval bwa, toujours, qu’il revisite en y ajoutant des sonorités actuelles, en y glissant mille couleurs créoles (de la Réunion à Haïti) et des influences venues de partout. Fidèle à ses racines, mais en phase avec son temps, et ouvert sur le monde. Car Dédé, c’est certain, rêve d’une société sans frontières.
Avant de se consacrer pleinement à sa carrière – qui l’a emmené sur les plus grandes scènes internationales – il a été instituteur en maternelle, onze ans durant. « Quand j’ai démissionné, en 1991, j’étais déjà intervenant en lycée, à l’université, dans les prisons… » Une démarche qu’il a poursuivie et développée. « Je mène des actions pédagogiques auprès de publics fragilisés, dans les quartiers, avec les gens du voyage, dans les hôpitaux aussi, notamment avec l’association Musique et Santé pour laquelle je suis formateur. »
À cœur ouvert
Pendant plusieurs années, il enseigne aussi les percussions afro-caribéennes au conservatoire d’Angoulême. « Quand il a été question de me titulariser, j’ai fui ! Je veux rester libre pour que la musique arrive quand elle veut dans ma tête, et être disponible pour répondre aux sollicitations. Je veux être au service de la musique ! » Son approche pédagogique, basée sur la rythmique, s’apparente à un jeu de questions-réponses, une sorte de ping-pong verbal et gestuel avec son public. « J’utilise beaucoup les onomatopées. C’est une langue qui permet de communiquer instantanément. Et dans n’importe quel pays. Chacun se l’approprie. C’est un alibi, une manière d’être ensemble, tout de suite. Y’a pas de couleur, pas de religion, pas de politique ! Ça fait bam ! zip-zap ! wap ! ti-bu ! la ! poin-té-boum ! »
« Les profs de conservatoire me disent parfois : “mais pourquoi est-ce que je n’ai pas appris la musique comme ça ?” ». Selon Dédé, on n’apprend pas la musique, on la joue ! Et pendant qu’on la joue… on l’apprend. « En tant qu’autodidacte, je veux que vous ayez du plaisir, tout de suite ! »
Même si l’humour et l’autodérision ne sont jamais bien loin (« Je me moque aussi beaucoup de nous-mêmes… Mes chansons sont universelles »), ses textes, engagés, sont toujours porteurs de message. « Ce n’est pas parce que je joue de la musique populaire, celle des gens humbles, que je dois mettre des textes bateau sur mes chansons. Tu peux faire du chouval bwa et avoir des révoltes ! J’ai toujours été contre les injustices. »
Et voilà que notre prolixe interlocuteur se remémore une injustice subie par sa grand-mère, marchande ambulante, alors qu’il était enfant… Soudain, il s’arrête de parler, saisi par l’émotion, la gorge nouée. Il est comme ça, Dédé ! À fleur de peau, sans filtre, à cœur ouvert.
Aujourd’hui, un pied en Martinique, l’autre aux États-Unis, il partage son temps entre la scène, la création et la transmission. À Laval, dans le hall de l’école Germaine-Tillion, résonnent encore les voix des enfants : « Nous voulons tout partager, sans exception, sans faire de différences. Ouvrons nos cœurs ! » Chiche ?
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