Laval city ne se doute de rien, mais abrite depuis mai 2015 un des labels les plus en vue de la scène metal hardcore européenne. Rencontre avec Matthias Jungbluth, big boss de THROATRUINER RECORDS.
Ce froid lundi de novembre, une pluie continue s’abat sur les fenêtres du QG de Throatruiner, et accessoirement logement de son patron. Une ambiance gris monochrome qui s’accorde bien au climat pas franchement festif du catalogue du label, affichant à ce jour une cinquantaine de références. Avouant une prédilection pour les « trucs sombres, quel que soit le genre », Matthias, vingtenaire moustachu et souriant, confesse son rapport cathartique à la musique. « J’ai tendance à vite me renfermer ou négativer quand je ne vais pas bien. La musique me permet d’extérioriser et de canaliser de manière saine toutes les tensions, les sentiments négatifs que je peux ressentir. Sans cet exutoire, je me demande parfois comment je survivrais » rigole-t-il. La théorie, bien connue, se vérifie ici : derrière leurs appendices pileux et leurs tatouages, les métalleux sont des hypersensibles, qui apaisent leur petit coeur endolori à grands coups de grattes saturées et d’hurlements gutturaux.
Né dans le Tarn, le petit Matthias déménage vite à Vannes où il découvre, à la fin du collège, punk, hardcore, metal et autres déviances. On passera avec indulgence sur ses premiers amours neo-metal, qu’il cocufiera très vite avec un boulimique appétit : enfant d’Internet, notre désormais lycéen télécharge à tour de bras, et explore via le web les dédales les plus sombres des musiques extrêmes : de Converge à Neurosis ou Envy, du doom au black metal en passant par le sludge… Lorsqu’il s’agira de lancer Throatruiner records, il lui semblera évident de proposer ses disques en téléchargement gratuit : « la démarche était atypique dans le milieu, mais vu ce que m’a apporté Internet, j’aurai trouvé saugrenu de faire autrement ».
Metal d’acier
Bientôt le statut de simple mélomane ne lui suffit plus, il ressent le besoin de s’impliquer davantage pour rendre à cette musique ce qu’elle lui a donné. Le voici chroniqueur pour le webzine Violent Solution, animé par le même objectif qui le poussera plus tard à créer un label : partager son enthousiasme et dire à qui veut bien l’entendre, « écoutez ça, c’est merveilleux ».
En 2011, après trois ou quatre années de fac avortées – « la dernière année, j’ai tenu deux heures… » -, Matthias traverse une intense phase de remise en question, et passe deux jours à se demander ce qu’il va bien pouvoir faire de sa vie. Le troisième jour, Throatruiner était né. « Je me suis rendu compte que je ne pouvais m’investir à fond que si je bossais sur un truc qui me passionnait vraiment ». Alors que « la plupart des gens se rangent avec l’âge », il fait le chemin inverse. Lui qui au départ visait un job pépère, s’engage à 21 ans dans « une voie hyper périlleuse à la viabilité plus qu’incertaine ».
Deux ou trois personnes en France vivent d’activités similaires, et personne ne peut lui donner de conseils plus utiles que « met un peu de thunes de côté et signe des bons groupes ». Conscient de ses lacunes – « je n’avais aucune compétence » -, l’intrépide Jungbluth fonce, telle une division blindée. Sans taire ses difficultés et ses doutes, l’homme vous convainc vite qu’il sait où il va, tranquille et confiant, porté par une foi de moine pénitent et une volonté de bulldozer. Il apprend sur le tas, à l’ancienne, fait des erreurs qui le font progresser – « j’aime apprendre comme ça ». Et bosse comme un damné. « Il est prêt à tout pour le label, témoigne Timothée Duchesne, batteur de Birds in row et taulier du petit label Skulltrophy, qui collabore régulièrement avec Throatruiner. Prêt à se coucher à 2 heures du mat et se lever à 8 le lendemain, 7 jours sur 7 sur le pont. Après cinq ans, il est toujours autant à fond. Le taf de promo qu’il abat, par exemple, c’est complètement taré. Aucun autre label ne fait ça ».
D’entrée, Matthias affiche l’ambition de dépasser le rayonnement franco-français auquel se cantonnent trop souvent les labels frenchy. Ce qui passe par un gros boulot de promotion, «forcément hyper ingrat et qui demande une mise à jour permanente des contacts médias, webzines, etc. ». Et ça paie : aujourd’hui, Throatruiner écoule 60% de ses disques à l’étranger. Essentiellement en vinyle – « pour l’objet, la collection, la plus-value esthétique… » et via son site web, où l’on retrouve aussi les disques de quelques labels amis. « Pour rentabiliser les frais de port, nos clients achètent plusieurs disques lors d’une même commande. Plus tu proposes un choix étoffé, mieux c’est ».
Alors qu’il s’était donné cinq ans pour vivre du label – « histoire de ne pas me mettre la pression et que ça reste un truc que je fais par passion » -, Matthias a pu lâcher son job alimentaire de pion après seulement trois ans. Sans rouler sur l’or : « j’ai appris à vivre à l’économie, à couper toutes mes dépenses superflues ». Le mobilier Emmaüs de son appart et l’éternelle ampoule grillée dans l’entrée en témoignent…
Louis-Ferdinand fait du hardcore
Au-delà des considérations économiques, Throatruiner a su s’imposer comme une référence, et développer une identité propre, répondant à une esthétique musicale que son patron définit comme « lourde et intense, avec toujours un côté sale, dans le rouge, associant l’urgence et la mentalité du hardcore et le côté lourd et noir du metal ». Mais le mec, capable de s’imposer un footing quotidien d’une heure pour « se vider de [ses] idées noires », n’est pas du genre à se prélasser dans sa zone de confort. Conscient du risque de redite qui guette tous ceux qui ont su affirmer leur signature et trouver leur style, il aspire à une plus grande ouverture musicale du label. Il s’avoue cependant déjà overbooké avec les quelque 20 groupes de son impeccable catalogue – le haut du panier en matière de terreur sonore -, parmi lesquels on retrouve les lavallois de Birds in row, As we draw et WAITC.
Un « hasard » qui a contribué à sa décision de quitter Rennes pour s’installer à Laval. « La décision s’est imposée d’elle-même : la plupart des groupes du label enregistrent leurs disques ici (chez Amaury Sauvé, ndlr), mes amis sont ici ainsi que les musiciens de mon groupe, Calvaiire ».
Dans ce quartet fondé en 2013, Matthias fait office de « hurleur » et signe tous les textes, « la seule chose que je sache faire à peu près bien » s’excuse-t-il, sans rire. Une exigence du « mot juste » et un goût pour l’écrit que trahissent son élocution et un exemplaire du Voyage au bout de la nuit de Céline qui traîne sur une étagère… Meilleur vente du label à ce jour, Calvaiire tourne aujourd’hui au ralenti, et peine à donner une suite à son terrible premier album. « Tout en conservant notre identité, il faut qu’on parvienne à nous renouveler, évoluer, sortir de nos habitudes ». Pour garder la flamme intacte. C’est là tout le credo de l’intrépide Matthias Jungbluth.
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