Quand Charlie Chaplin permet de parler du racisme en classe… Petite leçon de cinéma avec un militant de l’art à l’école, Yannick Quillet, et sa classe de CM1-CM2, dans le cadre de l’opération Ciné-enfants.

Grand soleil et grosse chaleur, dehors, ce 1er juin. Après la récré, ce sont des élèves exténués mais attentifs que l’on retrouve, à 11h, en classe, pour une séance cinéma bienvenue. C’est le jeune Simon qui nous guide jusqu’à la salle de classe, à l’étage du bâtiment C de l’école primaire Saint-Louis/Sainte-Marie, à Château-Gontier. Là, Yannick Quillet, enseignant et directeur de l’école, commence sa séance d’histoire des arts. À l’affiche : cinéma burlesque !
« Charlie Chaplin, vous le reconnaissez à quoi ? », demande-t-il à ses élèves de CM1-CM2. « À sa canne et à son chapeau melon », répondent en chœur les 19 enfants. Il faut dire qu’ils ont beaucoup appris, cette année. Ils ont étudié et vu au cinéma Hugo Cabret de Scorsese, dans le cadre de Ciné-enfants. Créé en 1997 par l’association Atmosphères 53, ce dispositif permet aux classes participantes de voir au cinéma deux films par an, parmi six films au choix.
Parallèlement, les élèves ont découvert Le voyage sur la lune de Méliès, auquel le film de Scorsese fait directement référence. L’occasion toute trouvée pour tirer le fil et faire découvrir l’œuvre de géants du cinéma burlesque comme Charlie Chaplin, Buster Keaton – « l’homme qui ne sourit jamais » – Laurel et Hardy ou Harold Lloyd. Ce qui surprend les élèves, c’est qu’ils rient aux gags de ces acteurs du début du XXe siècle, « alors que c’est muet, pourtant ».
Et si ça fonctionne, ce n’est pas dû au hasard, mais à un choix mûrement réfléchi « On a la chance en Mayenne d’avoir des dispositifs qui associent les enseignants au choix des films » explique Yannick Quillet. Depuis 14 ans, l’instit fait ainsi partie du comité de pilotage de Ciné-enfants, et sélectionne les longs métrages proposés aux classes. « J’assure aussi des interventions auprès des enseignants qui participent à Ciné-enfants. » Des actions de formation en relation avec les films programmés qui, avec les documents pédagogiques très complets fournis par Atmosphères 53, leur permettent de préparer le travail en classe avec leurs élèves.
« Voir un film sans préparation avant, et sans séances de travail après, ça n’a aucun intérêt, juge l’enseignant. Il faut montrer aux enfants qu’il ne s’agit pas seulement de se distraire, et réinvestir en classe ce qu’on a vu pour l’enrichir ». Objectif : les rendre acteurs, les amener à comprendre qu’un film n’est pas un simple produit de consommation, et les inciter à réfléchir sur ce qu’ils ont vu, à donner un avis…

« Rendre les enfants capables de réfléchir au monde qui les entoure »

Esprit critique

« Le cinéma a toute sa place à l’école », prône Yannick Quillet. Pour l’homme, les bénéfices sont multiples : culturel, citoyen, pédagogique bien sûr… « Enseigner, c’est aussi rendre les enfants capables de réfléchir au monde qui les entoure. C’est ce que permet l’art, le cinéma… Et c’est la volonté de tous ces projets : développer un esprit critique chez les enfants. » Un objectif qui, dispositif Ciné-enfants ou non, conduit les élèves de l’école Saint-Louis/Sainte-Marie à se rendre au moins une fois par an au cinéma, dès la maternelle.
En visionnant le film Le caméraman (1928), signé Buster Keaton, les élèves comprennent vite… et rigolent. « On sait qu’il est maladroit, qu’il va encore faire des bêtises », remarque leur maître. Et soudain, le mot « burlesque » prend sens dans la tête des élèves. Ce sont eux qui l’expliqueront : « En fait, ils préparent le spectateur au rire, on sait qu’il va se passer quelque chose. »
« Théo, assied-toi ! » Il est 11h35 quand une image vient interroger une classe qui attend de plus en plus la pause de midi. Dans le tout début du film L’émigrant (1917) de Chaplin, les élèves voient la caméra tanguer. De dos, sur un bateau, on croit que Charlot est en train de vomir. « Le rire repose sur nos attentes », note Yannick Quillet. En fait, l’acteur est en train de pêcher.
« Ce que vous allez voir maintenant, ce n’est pas à reproduire à la cantine, tout à l’heure », prévient l’enseignant. Dans un extrait de Charlot, machiniste (1916), deux tournages ont lieu, côte à côte, et quand on s’énerve dans l’un à coup de jets de tartes à la crème, c’est le tournage d’à-côté qui prend tout. « Faut-il rendre tous les coups ? » La question est reposée dans Big Business de Laurel et Hardy, spécialistes des vacheries. « C’est une ouverture à d’autres cours, notamment d’éducation civique, assume Yannick Quillet. On a cette chance, en primaire, d’être professeur interdisciplinaire. On touche à tout. Si on ne fait pas de liens entre toutes les matières qu’on enseigne, ça n’a pas d’intérêt. Faire des passerelles, ça m’éclate. »
Midi. Fin de la séance. Mission accomplie pour Yannick qui a contribué à l’éveil critique et culturel de ses élèves, en les initiant à de grands noms du cinéma, tout en décryptant les effets recherchés, les techniques de l’époque…
Surtout, l’enseignant aura passé des messages. Cette année, sa classe a aussi participé à un projet musical, autour du gospel, conclu par un concert à la Halle du Haut-Anjou. Dans ce cadre, les enfants ont étudié l’esclavage. Et comme tout est lié, ils ont ainsi découvert l’histoire du clown Chocolat grâce au film Chocolat, avec Omar Sy et James Thiérrée (petit-fils de Chaplin). « J’ai vraiment eu l’impression de faire mon boulot quand des élèves ont fait le lien entre l’esclavage et la Shoah, se souvient Yannick Quillet. Quand ils me disent : « dans les deux cas, on ne considère plus l’homme comme un homme, mais comme un animal ». Je dis banco ! ».
Pourtant, l’enseignant s’oblige à ne donner aucun avis tranché. « Des élèves me demandent pourquoi certains s’en prennent aux migrants alors que dans les années 1940, on les accueillait à bras ouverts. Je ne peux que les inviter à réfléchir. » Et à se forger un sens critique (de cinéma).

Éducateurs à l’image
Outre le festival Les Reflets du cinéma, Atmosphères 53 intervient depuis sa création en 1989 auprès des scolaires, de la maternelle au lycée. En complément de Ciné-enfants, opération unique en France, l’association anime en Mayenne le dispositif national Collège au cinéma, qui associe séances de ciné et (très souvent) ateliers de pratique coordonnés par Atmosphères. « En 2016-2017, cinq films ont été réalisés par des collégiens dont deux films d’animation », détaille Estelle Chesné, chargée des dispositifs scolaires. L’asso porte aussi l’opération Ciné-Lycéens, accompagne les options cinéma des lycées de Mayenne, Évron et Château-Gontier, intervient sur temps périscolaires, coordonne des ateliers de réalisation dans des centres de loisirs ou maisons de quartiers…

 

Article paru dans le dossier « que fait l’art à l’école ? » du numéro 61 du magazine Tranzistor.