« Step by step ». C’était un tube des New Kids On The Blocks. Un affreux boys band des années 80. C’est aussi un morceau des lavallois de Sling69. A l’exact opposé des produits formatés, ce jeune groupe, qui s’est construit seul, marche par marche, publie aujourd’hui son premier album. Un disque abouti et d’une violente beauté, signé sur le label du groupe Guerilla Poubelle. Les « kids » causent.
Johann (guitare) : La première chanson qu’on a joué avec Sling69, c’était une reprise d’Offspring ! (rires) C’était en 2002. Dès le début, on a travaillé avec Tess à Créazic (structure associative devenu ensuite département musiques actuelles du conservatoire de Laval, ndlr). Il nous a inculqué une façon de travailler, de composer, de structurer les morceaux… Ça a été un gain de temps énorme. En un an, c’est comme si on avait eu cinq ans de répét’ derrière nous. Du coup, en 2003, on a enregistré notre première démo chez Zerah, dont le fameux morceau « Préjudices », qui s’est ensuite retrouvé sur la compile Indépendant 3 d’Enragés productions. Sur cette compilation, il y a avait les Pookies, Sexy Pop, Sons of Boudha… des groupes qui étaient beaucoup plus avancés que nous. Ça nous faisait une super carte de visite !
Bart (chant/guitare) : A cette époque, on a commencé à élargir notre culture musicale, qui se limitait alors au punk rock californien, Offspring, Blink182… On s’est mis à écouter vachement plus de choses, du metal, beaucoup d’emo aussi, Dead Pop Club, Amanda Woodward… On a découvert des trucs plus mélodiques, plus mélancoliques, plus sensibles… On s’est rendu compte qu’on pouvait aussi faire passer dans nos chansons des sentiments, des émotions simples. Notre premier EP (un maxi 5 titres sorti en 2005, ndlr) reflétait en quelque sorte cette évolution.
Avec The threatened kind, votre premier album, votre musique a pris un nouveau virage…
Bart : ça s’explique en grand partie par le changement de line-up. Le départ de notre batteur, Souka, et de notre bassiste a remis le projet totalement en cause. Et l’arrivée de Timy à la batterie et de Punky à la basse a complètement modifié notre façon de travailler. Alors qu’auparavant on composait plus dans la confrontation : il fallait se battre pour faire passer ses idées, maintenant on avance tous dans la même direction, avec les mêmes objectifs. On est tous prêts à s’investir de la même façon et à tout lâcher pour partir sur la route dès qu’on pourra.
Ce changement de line-up a une influence directe sur votre manière de composer ?
Johann : Complètement. Comme on est tous en phase, aujourd’hui lorsqu’on compose, on se lâche beaucoup plus. On ne se met plus de freins, de barrières. Nos précédentes chansons étaient construites selon des structures punk-rock types. Maintenant, ce sont des grandes évolutions, sans structure prédéfinie. Notre musique est plus violente, plus épidermique. On ne réfléchit pas en terme de public, genre : « là il faut un passage pour faire jumper les gens ». La musique qu’on fait aujourd’hui, c’est la manifestation directe de ce qu’on ressent.
Vos nouveaux morceaux comportent beaucoup de breaks, de nuances, de changement de tempo ou d’ambiances…
Bart : pour nous, le punk, inconsciemment ou consciemment, c’est un truc qui va choquer les gens, qui va les surprendre, les étonner. Tu commences par quelque chose qui bastonne à fond, puis tout un coup, boum !, tu t’arrêtes et tu balances un truc en son clair.
Johann : c’est notre façon de faire. Ca fait parti de notre identité musicale. Il y a souvent un moment dans nos chansons où on casse le truc. On aime bien jouer sur l’effet de surprise. C’est quelque chose qu’on peut déjà retrouver sur notre premier maxi.
The threatened kind dure à peine une demi-heure. Et la plupart des chansons du disque font moins de trois minutes. Pourquoi des formats aussi courts ?
Bart : si on jouait le même type de morceaux sur 45 minutes, ça risquerait de devenir fatiguant. Nous avions envie de morceaux brefs, intenses, qui fassent comme l’effet d’une décharge…
Johann : on voudrait que les gens qui écoutent l’album comme ceux qui viennent nous voir jouer ne voit pas passer le concert ou le disque, qu’ils se disent à la fin : « tiens, c’est déjà fini ? ». Parce que si ça devient pesant, ils ne retiendront que cette dernière impression. Nos concerts durent aussi environ 30 minutes. Ca nous semble largement suffisant pour dire qui on est, et faire passer ce qu’on a envie de dire. Ça doit être bref et violent.
Votre évolution n’est pas seulement musicale, elle concernent aussi les paroles de vos chansons…
Bart : On est entré dans une période beaucoup plus hardcore, et pas que musicalement, dans les idées, dans ce qu’on a envie de faire passer dans la musique… En rencontrant Till de Guerilla Poubelle ou les gens de Free Edge Conspiracy et Eternalis qui sont nos labels aujourd’hui, on a découvert d’autres façons de voir la musique, que l’on pouvait être politisés, sans être démagos à outrance. Globalement, le message qu’on essaie de faire passer dans nos chansons, c’est : « arrêter de vous plaindre ». Si il y a quelque chose qui vous manque dans votre vie, que ce soit à un niveau musical ou autres, vous pouvez vous débrouiller vous-mêmes pour l’obtenir. La meilleure façon d’être heureux, c’est de faire les choses par soi-même, c’est de mériter ce qu’on vit. C’est l’accomplissement de soi. C’est aller à fond dans ce qu’on a envie de faire et non pas dans la direction que les autres nous indiquent de suivre.
Johann : D’ailleurs, c’est ce qu’on vit en ce moment. On a pas forcément envie de trouver du taf, de fonder une famille maintenant, d’acheter un pavillon et un chien (rires)… On a envie de se lancer dans la musique parce que c’est notre rêve de gosses. On ressent ce besoin-là de s’exprimer, de voyager, de rencontrer des gens… On sait qu’on s’accomplira davantage en faisant de la musique, que dans un bureau ou à l’usine. Après notre discours, ça n’est pas du tout de dire « arrêtes de bosser et lance-toi dans la zik ». L’année prochaine, on va sans doute travailler à certains moments, mais on va privilégier notre projet musical.
Au mouvement « hardcore » on associe généralement une éthique, des valeurs morales… Bart, par exemple, je crois que tu es straight-edge (philosophie de vie qui bannit en particulier la consommation d’alcool et de drogues) et végétarien ?
Bart : Le straight-edge ou le végétarisme, ce sont des choix complètement personnels, que tout le monde ne partage pas forcément au sein du groupe, donc je n’en parle pas dans nos chansons. Les paroles ne sont pas le reflet de ce que JE pense mais de ce que nous pensons tous les quatre. D’ailleurs en général quand j’écris des paroles, je vais faire en sorte que celui qui écoute puisse s’identifier, se sentir concerné.
On taxe par fois le milieu « hardcore » ou les adaptes du straitgh-edge d’intolérance. Que réponds-tu à ces critiques ?
Bart : C’est une image complètement fausse. Le straitgh-edge est basé sur des principes de tolérance et c’est une démarche complètement personnelle… Il n’y a pas d’organisation autour, ni de propagande ou de règles à suivre. Ca n’a rien à voir avec une secte, ni même un mouvement. Mais comme dans n’importe quel truc, il y a des extrémistes qui n’ont pas compris que tout ça relevait d’une démarche personnelle et qu’il ne fallait pas l’imposer aux autres. Je distingue une personne de ses opinions, parce que les opinions changent alors que la personne reste. Il y a un an, je mangeais de la viande et je trouvais ça normal. Etre « straight-edge », c’est refuser d’être addict à quoi ce soit. C’est être lucide et capable de se faire sa propre opinion. Du straight-edge, tu peux aller vers le végétarisme, le féminisme, l’antifascisme… L’étiquette d’« intolérant », c’est souvent une image qu’on donne à tous les gens qui vont au bout de leurs idées.
En radicalisant votre musique comme votre discours, vous ne risquez pas de vous limiter un public plus restreint et déjà concerné ?
Bart : non, parce que la musique qu’on fait, elle va bien avec l’époque qu’on vit, et il y a de plus en plus de gens qui s’y reconnaissent. Ce qui compte, ce n’est pas le style ou le genre, c’est le ressenti, ce qui se dégage de la musique. Moi à partir du moment où je ressens quelque chose, j’écoute. On s’adresse à tout le monde et surtout à ceux qui ne s’enferment dans aucun genre… Il y a des groupes qui font le pont entre différents styles musicaux. Nous, on se situe là, dans un entre deux. De toute façon, on est gavé d’influences, de la pop au metal, du hardcore au hip hop. Nous écoutons des groupes de hardcore qui jouent à fond la caisse comme des choses plus calmes, du post rock ou Sigur Ros, Archive… Tout le monde peut se reconnaître à un moment dans ces influences.
Vous sortez d’ailleurs votre disque sur des labels représentant des genres musicaux différents…
Johann : c’est la preuve la plus flagrante qu’on ne correspond à aucune catégorie particulière. On est super fiers d’être sur ces labels, parce que pour nous ce sont ceux qui incarnent le plus le mouvement DIY (« Do it your self ». En français : « fais le toi-même », ndlr). S’ils partagent la même démarche et restent dans le domaine « punk/harcore », ces labels sont assez éloignés artistiquement : Guerilla, c’est du punk rock à la française, Free Edge ou Eternalis sont davantage hardcore mais avec des orientations différentes.
Pourquoi sortez-vous votre disque sur trois labels ?
Bart : pour une question de répartition des risques, chacun participe au pressage du disque à la hauteur de ses moyens. Et puis surtout pour diversifier le public : ça nous ouvre beaucoup plus de portes d’être sur des labels aux horizons aussi différents. Chacun a ses propres outils de distro et de promo, ses propres réseaux… dont on pourra bénéficier. Ils aiment vraiment ce qu’on fait même si notre musique ne correspond pas à ce qu’ils défendent habituellement, ce qui est une preuve d’ouverture d’esprit. Ils nous signent surtout parce qu’ils aiment notre démarche, et qu’on partage une vision commune.
Johann : On a toujours fonctionné en autoprod, au départ par méconnaissance du milieu, aujourd’hui par choix. Parce qu’on a envie de contrôler les choses. Parce qu’on veut travailler en famille, avec des potes, des gens qu’on connaît. On aime faire tout par nous-même. Bart, de par ses études et ses goûts, s’occupe naturellement de la com’, de la réalisation des pochettes, des flys, du myspace… Moi ça me convient bien de m’occuper de l’administratif et du management parce ça correspond à mes études et à ce que j’aime faire..
Bart : on a ce bol-là, d’avoir Joh qui est à fond dans ce qu’il y a plus chiant à gérer dans un groupe : la comptabilité, l’administration… (rires). Je me charge aussi du booking, qui n’est quand même pas la partie la plus marrante du truc. Mais je suis content de le faire, parce que ça fait avancer notre projet. Il n’y a pas que la musique, on aime aussi ce qu’il y a autour, on aime s’occuper du projet, parce qu’on veut faire quelque chose d’abouti. Sinon ça n’a aucun intérêt.
Johann : on avance étape par étape. Avec ce disque, on franchit encore un palier et ça nous ouvre de nouvelles portes, de nouvelles possibilités pour jouer dans toute la France, en Europe… C’est une nouvelle vie qui commence !
Votre but ultime, c’est de conquérir le monde !? (rires)
Bart : Evidemment ! (rires) Grâce à Free Edge, on a l’opportunité de partir en tournée avec un des groupes du label, Nine Eleven, dans les pays de l’Est, en Angleterre… C’est une porte européenne qui s’ouvre pour nous et qu’il ne faut pas louper. La scène hardcore est beaucoup plus développée dans ces pays qu’en France. Et puis ce sont des expériences qu’on a envie de vivre. C’est quelque chose qu’on aurait fait de toute façon, même sans le groupe : voyager, rencontrer des gens… Et c’est une envie que partagent beaucoup de jeunes en ce moment. La France, ça craint de plus en plus, les gens ont envie de voyager, d’aller voir ailleurs…
Vous avez eu très tôt une page Myspace et vous utilisez beaucoup Internet pour recherchez des dates, entrer en contact avec des labels ou d’autres musiciens… Vous êtes un peu un groupe de la génération « Myspace » !?
Bart : Myspace, ça nous a servi à fond. Les mecs qui commencent un groupe aujourd’hui et qui marchent juste à l’envoi de démos pour rechercher des concerts, j’ai envie de leur dire : « mais faites un myspace les mecs ! ». Le but de Myspace, ça n’est pas juste d’avoir une page sur internet, mais c’est de créer un réseau. Sans cet aspect, Myspace n’a aucun intérêt. Le contact avec les professionnels, les labels, les musiciens, etc. est beaucoup plus simple par Myspace. Les mecs te répondent beaucoup plus facilement que si tu leur envoyais un mail. Par Myspace, on est rentré très simplement en contact avec les Uncos, qui ont ensuite parlé de nous à plein de gens.
Johann : que ce soit pour booker des dates ou entrer en contact avec un label, un groupe… Myspace c’est super pratique, même si il y a aussi des organisateurs qui préfèrent qu’on leur envoie une bio et une démo par courrier. Mais ça, on le fait aussi !
Bart : pour l’anecdote, Myspace France nous a proposé une opération spéciale pour la sortie de l’album. Ils te font un lecteur mp3 spécial, avec de la promo à fond sur le groupe, des bannière animées, etc. Au départ, on était mitigé. Puis après réflexion, on a conclu qu’en faisant ça on n’était pas en accord avec notre discours. Nous n’avions pas envie de voir nos têtes mises en avant partout. Il faut se vendre ok, mais bien. Dans ce cas-là, on associait notre image à Myspace, et on cautionnait quelque chose de pas très reluisant. D’accord pour utiliser ce système et s’en servir, mais pas pour faire de la pub dessus, et s’introduire partout, à coup de pop-ups. Tout ça pour que trois pelos en plus viennent visiter notre page. Le compromis n’en valait pas la peine.
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