C’est un fait. Le milieu des musiques actuelles est un monde de mecs. Pour qui ? Pourquoi ? Comment expliquer ce constat ? Et de quelle façon les filles qui s’emparent d’un micro ou d’une six-cordes vivent cette situation minoritaire ? Témoignages de quelques musiciennes du 5.3.
« Les filles sont-elles nulles pour le rock ? » C’est le titre, sciemment provocateur, d’un article glané sur le net. La réponse est non, évidemment. On se souviendra pour s’en assurer du cinglant démenti apporté à leurs époques respectives par quelques figures tutélaires : Janis Joplin, Patti Smith, PJ Harvey, Beth Ditto ou le mouvement des Riot Grrrls, branche féministe de l’héritage punk.
Cela dit, objectivement, la sous-représentation des femmes dans l’univers très masculin des musiques actuelles peut interpeller. À l’échelle de la Mayenne, 87% des musiciens recensés sont des hommes, une tendance qui s’inscrit dans les statistiques observées sur l’ensemble du territoire français. En 1994, le sociologue Marc Touché évoquait ainsi un « lent, très lent processus de féminisation de ce milieu composé à plus de 90% de sujets du sexe masculin. »
Pourquoi cette représentation minoritaire ? La question, passionnante et complexe, mériterait un ouvrage complet. Plusieurs chercheurs d’ailleurs s’y sont penchés… Pour AnA kAnine, moitié du duo electro-jazz Solitude Collective Orchestra, c’est presque un faux débat : « Les femmes, quel que soit le milieu sont systématiquement évaluées en rapport avec les hommes. Comme si cela avait encore quelque chose d’exceptionnel qu’une femme rédige un roman, réalise un film, ou compose un album. » Lise Moulin, chanteuse du duo Bretelle et Garance, apporte un éclairage complémentaire : « On peut observer cette minorité dans la plupart des domaines créatifs, artistiques, et même dès qu’il s’agit d’être exposée, d’avoir du pouvoir en général. Je pense, et l’éprouve aussi parfois, qu’il peut être difficile de se réaliser en tant que femme, mais pas plus dans la musique que dans n’importe quel autre domaine. »
Un univers de mecs
En attendant, les rares filles instrumentistes dans un groupe de rock tiennent quasiment toujours la basse, soit l’instrument le plus en retrait. À l’instar de Stéphanie, bassiste de Steff & the Mafeya, qui évolue aux côtés de trois garçons dans ce groupe de pop-rock formé en 2008. « Ma présence y est naturelle et ça ne me pose aucun problème. Mais je reconnais que c’est traditionnellement un univers de mecs, qui créent des groupes entre potes, sans forcément penser à y placer une fille. » L’image de ces messieurs, lycéens ou étudiants, formant un groupe de rock dans le garage des parents, demeure tenace, et bien réelle.
Face à cette situation, l’une des solutions adoptée par les musiciennes consiste à former leur propre groupe, voire à le constituer uniquement de femmes. C’est ce que viennent de faire récemment The Ella’s, quatuor de filles, à peine la vingtaine, qui reprennent à leur compte l’équation gagnante guitare/basse/batterie. Plus expérimentées, Les Pécheresses constituent l’autre combo exclusivement féminin du département, dans un registre chanson-rock déjà bien rodé, avec une quinzaine de concerts au compteur. Un groupe de copines avant tout, « sans quoi ça ne marcherait pas ». Chacune y a son petit surnom : Rozita, Mimi, Flo, Vévette et Lili se retrouvent ainsi deux fois par semaine pour répéter. « Former un groupe de filles a été plus un hasard qu’une réelle volonté, mais c’est finalement assez porteur, ça permet d’accrocher le public plus facilement », reconnaît Héléna, l’accordéoniste.
On les titille alors avec la question qui fâche : pourquoi si peu de filles dans le milieu des zikos ? « Je pense qu’il y a beaucoup de filles qui jouent d’un instrument chez elles, mais qu’elles vont moins facilement monter un groupe ou vouloir jouer sur scène. Un prof de musique me disait aussi que les gars sont plus à l’aise en termes d’impro et de lâcher prise sur scène, et ça je l’ai vécu. »
Chanteuses sinon rien ?
« Le rapport au corps qu’impliquent ces musiques, le fait d’être exposé sur scène, etc. freinent sans doute certains femmes », confirme le sociologue Gérôme Guibert. Auteur du livre Le rock au féminin, la journaliste Marjorie Alessandrini rappelle par exemple que, pendant longtemps, le public rock français accueillait par des « À poil ! » toute présence féminine sur scène… « Et puis, poursuit Gérôme Guibert, il y a une dimension technique, notamment dans les musiques amplifiées, que l’imaginaire associe à l’univers masculin : le fait de savoir accorder son instrument, le fait d’utiliser des effets sonores, des machines, etc. La technologie agit comme une sorte de « garde barrière » ».
Est-ce pour cette raison que le chant reste la pratique majoritaire des musiciennes ? 60% de celles ayant répondu à l’étude sur les pratiques « musiques actuelles » en Mayenne sont chanteuses ou choristes. Stéphanie est d’ailleurs parfois confrontée à cet état de fait avec Steff & the Mafeya : « Quand nous arrivons pour un concert et que les personnes ne connaissent pas le groupe, on me « colle » le statut de chanteuse, avant de découvrir que je suis à la basse. Par habitude, les gens imaginent mal une fille derrière une batterie ou une guitare, qui sont a priori des instruments « virils » ou assimilés comme masculins. »
Logique donc que la chanson, qui privilégie le texte et le chant, soit le genre musical où l’on retrouve le plus de femmes. En Mayenne, le tiers des musiciens faisant de la chanson sont des femmes. Alors qu’aucune n’appartient à un projet hip hop, et guère plus à un groupe rock (10%), electro (8%) ou jazz (5%). Là aussi, le département ne fait pas exception à la norme. Dans Femmes du jazz : Musicalités, féminités, marginalisations, la chercheuse Marie Buscatto, qui a mené l’enquête durant dix ans dans le monde du jazz, fait le constat de musiciennes majoritairement cantonnées au statut de chanteuse et aux possibilités d’ascension limitées par rapport aux hommes.
L’espoir cependant est permis : certaines études récentes montrent que la proportion de filles est plus importante parmi les jeunes musiciens. Alors ? Les femmes sont-elles l’avenir des musiques actuelles ? Vincent, alias Bretelle dans Bretelle et Garance, esquive le débat par une jolie pirouette : « À quand un article sur les musiciens « hommes » ? C’est vrai quoi, nous sommes des femmes comme les autres ! »
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