Putain mec, la claque ! La putain de claque qu’ils nous ont mis ces putains de cocos drivers. Lors de ce premier concert avec leur nouveau chanteur, Bob « the legend » N’Gadi, ils nous ont méchamment rossés. Si on avait des doutes, le temps d’une morceau, en deux coups de baguettes et trois moulinets de guitare, ils les ont réduits à néant. On n’avait plus qu’à creuser un trou et à les enterrer bien profond nos interrogations, en dansant dessus comme des damnés ! Enfouies qu’elles étaient, avec toutes les remarques du genre : « ouais mais les k-driver avec Bob au chant ce sera plus les k-driver » et autres moues dubitatives quant à cette association improbable entre trois jeunes types influencés par Shellac et Jon Spencer et un espèce d’énergumène rescapé de la défunte scène punk lavalloise, à jamais marqué par les figures tutélaires de Saint Lou Reed et du Sex Pistols Johnny les dents pourris…
Et pourtant ! Dès la première salve, on est touché en plein coeur. A tel point qu’on en oublie presque que ces quatre-là jouent ensemble sur scène pour la première fois. Difficile à avaler tant ils donnent l’impression d’être soudés, tant tout cela semble rodé et parfaitement en place. Très attendu, au centre des regards, Bob est parfait. Complètement dedans, impressionnant de justesse (dans ses choix d’interprétation, d’intonation, de registre…). Il incarne totalement ce qu’il chante. Il est ce qu’il joue. Il joue ce qu’il est. Moins puissante que celle de Franz (le précédent chanteur des k.), sa voix se mêle idéalement aux autres instruments, trouve sa place à l’intérieur des chansons, qu’elle porte, tire vers l’avant… Et, si ces quelques mois de silence nous avaient fait presque oublier la puissance de feu des k.driver, on se la prend en pleine geule ce soir. Un engrenage infernal au sein duquel chaque instrument s’imbrique et se répond au nano-coup de médiator près. Une machinerie implacable, lancée à toute volée par les riffs démoniaques de la Telecaster de Guillaume, simples et hypnotiques comme ceux d’un blues primitif ou d’un bon vieux rock’n’roll à la Chuck Berry.
Mieux, en l’espace de ces quelques mois, la musique de k.driver a gagné en efficacité. Plus sèche et tranchante encore, elle se fait viscéralement binaire, renouant avec la brutalité jouissive et primale du rock, procédant par à-coups, par hachure aux motifs répétitifs et entêtants, par électrochocs, par décharge électrique. Imprimant à votre corps son mouvement pendulaire, ses saccades et toute sa violence contenue. La musique des k.driver n’est jamais aussi prenante que lorsqu’elle est prête à craquer, dans ces moments de tension et de montée implacable qui précèdent l’explosion des refrains. Ces mêmes refrains, qui dans l’ancien k.driver, laissaient un goût amer de déception, comme si la déflagration tant attendue valait moins que l’amorce, comme si l’orage espéré n’était pas à la mesure des éclairs qui l’annonçait. L’arrivée de Bob, sa capacité à emmener les chansons et à les incarner, remédient en partie à cette défaillance. Mais surtout, parmi les quelques nouveaux morceaux présentés ce soir, on trouve enfin quelques-uns de ces hymnes rock’n’roll qui donnent envie de brailler avec, d’hurler le refrain comme un ahuri heureux. D’ailleurs le public ne s’en prive pas. Les premiers rangs, composés essentiellement de trentenaires et de quadras plus ou moins avancés (je parle de leur âge, pas de leur état… quoi que celui-ci le semble tout autant) se jettent, dès les premiers morceaux, dans un pogo sauvage. Bizarre de voir des quadras(-ver) pogoter, surtout quand ils sont rejoints par des gamins qui pourraient être les leurs ! Etrange et plutôt cool. Mais malgré les réactions enthousiastes de ce public en folie, pas question pour les k. de baisser la garde, de rompre avec cette tension grave, ce sérieux qui se lit sur leurs visages, dans leurs regards… Ils sont attendus au tournant, et ils le savent foutrement bien. Mais plus qu’à cette pression palpable, cette gravité, ils la doivent à leur musique, à ce qu’elle exige d’intensité et de vérité. Ici pas de distance, de parodie, de blague, de second degré, de « j’y suis mais en fait non pas vraiment » ou « je sais bien que tout ceci n’est qu’un spectacle ». Il faut qu’on puisse y croire, voire que c’est pas pour « de rire », qu’ils ne jouent pas « pour de la fausse », qu’ils y mettent toute leur vie, toute leur sueur et tout leur sang. Et Bob joue ça à la perfection, charismatique, toujours crédible dans son rôle, les deux mains accrochés au micro, les pieds solidement ancrés au sol, le corps arqué, tendu vers l’avant. Tandis que derrière lui, Anthony se démène comme un beau diable sur sa batterie, les yeux un peu partis, flous. Guillaume est charismatique aussi, physique et expressif, cisaillant l’air de sa guitare, à grands coups de riffs métalliques et coupants. La basse de Lionel, dense, sèche, tendue à tout rompre, rebondit comme une bille de fer, vibre comme une ligne électrique à haute tension. Bien distincte, souvent mélodique et mise en avant dans le mix, elle rappelle, par la place qu’elle occupe, la basse de Sloy ou de Pixies…
A la fin du set, le public, conquis, fourbu – et masochiste comme il se doit-, en redemande, réclamant bruyamment « son » rappel. Je crie avec eux, d’accord même pour qu’ils nous repassent les plats – Patron, la même chose ! Partant sans problème pour tout réentendre de a à z et d’encore plus près. Désireux de m’infliger la même supplice. Ok pour remettre les doigts dans la prise. Prêt à y retourner. Certain d’y retrouver le même plaisir.
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