De Cannes à Deauville, de Dinard à Cabourg, Sandra Mézière court les festivals de cinéma depuis près d’une vingtaine d’années. Interviews, chroniques de films, reportages… La Lavalloise consacre au 7e art plusieurs blogs, notamment inthemoodforcinema.com et inthemoodforfilmfestivals.com. Une activité dont elle vit aujourd’hui.
Interview avec une cinéphage, dont la vie est rythmée par le grand écran : la blogueuse est aussi l’auteur d’un roman et d’un recueil de nouvelles qui prennent pour toile de fond les… festivals de cinéma !
Vous êtes tombée toute petite dans le cinéma ? Comment s’est construite votre relation au 7e art ?
Pour moi, le cinéma était au départ un univers lointain et inaccessible. Personne ne travaillait dans le 7e art dans mon entourage, en revanche mon papa était un passionné de cinéma et il m’a sans aucun doute transmis cette passion dès ma plus tendre enfance. J’ai regardé beaucoup de classiques avec lui (c’était le rituel immuable lorsqu’il n’y avait pas école le lendemain), à peu près tous les films avec Gabin, Delon, Ventura, les films de Sautet, Melville, Verneuil, Hawks, Truffaut et tant d’autres, même si ces derniers avaient notre préférence. Très jeune, je dévorais chaque semaine les magazines et les livres sur le cinéma. Ensuite, par un (très heureux) hasard, lors d’un week-end avec mes parents, en 1993 je crois, j’ai découvert le Festival du cinéma américain de Deauville. J’ai eu un véritable coup de foudre pour l’ambiance de ce festival et pour les festivals de cinéma en général. Quel bonheur d’être immergée ainsi dans sa passion, et de n’entendre parler que de cinéma autour de soi ! Ensuite, j’ai commencé à m’amuser à participer à des concours (nombreux à l’époque) que je trouvais le plus souvent dans les journaux de cinéma et qui permettaient d’intégrer des jurys de festivals (il s’agissait d’écrire des critiques ou des lettres de motivation sur le cinéma), ce qui m’a permis de me retrouver une dizaine de fois membre de jurys, et surtout de découvrir dans des conditions idéales des festivals comme celui de Paris en 1998 (un festival qui avait cette année-là pour président un certain Sean Penn), puis Cannes, Dinard, Cabourg, et tant d’autres. Ces expériences ont exacerbé ma passion pour le cinéma qui est devenue absolument incurable !
Comment devient-on blogueuse spécialiste ès ciné ? Et comment cette passion est devenue votre activité professionnelle ?
Au moment des concours dont je vous parlais, j’étais étudiante en droit/sciences-politiques. Je continuais à me distraire de ces études en parcourant les festivals et je voulais partager mon enthousiasme pour les films que je découvrais ainsi et dont il était peu question. Je voulais aussi partager ces singulières expériences de membre de jurys de festivals. Alors j’ai créé un premier blog, Inthemoodforcinema.com, en 2003, en publiant mes premières critiques de films et mes reportages sur les festivals sous forme de récits, alliant ainsi mes deux passions, le cinéma et l’écriture. J’ai ensuite commencé des études de cinéma en parallèle de mes études de droit. Et l’addition de mes blogs (inthemoodforfilmfestivals.com), mes participations à des jurys de festivals, et mes études de cinéma m’ont permis très tôt d’être accréditée dans les festivals. J’ai ainsi été la première blogueuse accréditée presse dans des festivals comme Cannes ou Deauville, il y a une dizaine d’années de cela déjà. Puis les festivals de cinéma m’ont sollicitée directement pour m’inviter, et les distributeurs, de leur côté, ont commencé aussi à me convier à assister à des projections presse, à des conférences de presse, à des avant-premières… Et ce qui était destiné à n’être qu’un loisir pour partager ma passion est devenu une activité à part entière. Comme Inthemoodforcinema.com ne pouvait tout contenir et que je m’y sentais à l’étroit, j’ai créé un blog sur Cannes, un autre sur Deauville, etc. Bien entendu, je n’aurais jamais imaginé, une vingtaine d’années après mon premier festival à Deauville, y retourner chaque année de l’ouverture à la clôture, de même pour Cannes. Je viens d’être accréditée pour ce qui sera mon 18e Festival de Cannes en mai prochain, et cela me réjouit toujours autant.
L’occasion ne s’est jamais présentée de travailler pour la presse cinéma spécialisée ?
Si, cela m’est arrivé ponctuellement. J’ai par exemple écrit pour le magazine de cinéma Clap. Jusqu’au mois de décembre dernier, avant sa restructuration, mes critiques étaient aussi reprises sur le site internet de Canal +, ce qui leur a donné une formidable visibilité. Il ne me déplairait pas de le faire plus régulièrement à condition de pouvoir garder ce principe qui anime mes blogs : avoir toute latitude pour mettre en lumière des films qui m’enthousiasment. Comme j’écris aussi des fictions, je connais le travail et l’engagement que représente un film. C’est si facile et si vain de le détruire en une formule.
« J’ai toujours écrit et quand, petite, on me demandait quelle profession je voulais exercer je disais écrivain. »
Vous signez sur vos blogs de nombreuses critiques, et établissez chaque année un palmarès des longs métrages que vous avez aimés. Vers quel(s) cinéma(s) vous portent vos goûts ?
J’ai vraiment des goûts très éclectiques. Les festivals m’ont amenée à m’intéresser à des cinématographies très différentes comme le cinéma asiatique dans le cadre du Festival du film asiatique de Deauville, qui m’a permis de découvrir le cinéma de Kiarostami par exemple (je recommande au passage son ultime et sublime film 24 Frames). Néanmoins ce sont sans aucun doute les films français qui ont forgé ma culture cinématographique. Les films de Sautet, Truffaut, Melville dont je vous parlais au début restent ceux que je préfère regarder aujourd’hui encore. Si un Truffaut ou un Melville passe à la télévision et même si je l’ai vu 20 fois, je ne résiste pas à l’envie de le revoir. Un « bon » film est un film qui témoigne d’un univers et d’un regard singuliers, qui justement transcende les critères, qui suscite des émotions et/ou une réflexion. Mais un bon film peut aussi être un film bénéficiant par exemple d’une photographie exceptionnelle. Je m’attache aussi beaucoup au scénario. Ainsi Un cœur en hiver de Claude Sautet ou Match point de Woody Allen sont deux films que je cite souvent, car ce sont pour moi des perfections dans ce domaine. Mais je peux vraiment être transportée par des films très différents. Par exemple, mon film préféré de 2017 était Faute d’amour de Zviaguintsev, mais j’ai aussi beaucoup aimé Dunkerque de Christopher Nolan. En 2016, c’étaient les films de François Ozon (Frantz) et Xavier Dolan (Juste la fin du monde), en 2015 le film tunisien À peine j’ouvre les yeux de Leyla Bouzid, et en 2014 Timbuktu d’Abderrahmane Sissako. Je peux aussi m’enthousiasmer pour les films de Lelouch ou le dernier James Bond. J’aime le cinéma, tous les cinémas.
Les festivals de cinéma sont aussi au cœur de vos deux livres, L’amor dans l’âme et Les illusions parallèles. Comment sont nées ces fictions, sans doute très inspirées de vos propres expériences ?
Oui, en effet, même si ce sont des fictions, ces deux livres sont forcément très inspirés de ce que j’ai vu et vécu. Le roman, L’amor dans l’âme, prend ainsi pour décor le Festival de Cannes, et Les illusions parallèles est un recueil de 16 nouvelles qui se déroulent toutes dans le cadre d’événements (comme les César) ou de festivals différents que j’ai couverts. J’ai toujours écrit et quand, petite, on me demandait quelle profession je voulais exercer je disais écrivain même si cela me semblait être une utopie. J’ai aussi gagné quelques concours de nouvelles. Alors, en festivals, à chaque fois que je croisais des personnes ou vivais des moments dont je trouvais que la fiction n’aurait osé les inventer, je me disais qu’il faudrait que j’écrive sur ce sujet. Et puis il y a eu un tragique élément déclencheur. J’ai éprouvé l’envie et le besoin d’écrire sur le deuil, l’indifférence qu’il suscite dans une société qui zappe tout constamment. C’était une urgence vitale. J’ai placé cette histoire dans le cadre du Festival de Cannes où ce sentiment d’indifférence peut être accru, et aussi parce que je voulais décrire l’atmosphère d’un festival, qui souvent intrigue, fascine, mais qui, vu de l’intérieur, est bien différent de l’image qu’on peut en avoir. Je voulais également écrire un roman dans lequel je partagerais ma passion dévorante pour le cinéma. Je voulais aussi absolument raconter un amour impossible. Ainsi est né L’amor dans l’âme qui réunit tous ces éléments… J’ai eu le plaisir d’être publiée par Les Éditions du 38, une maison d’édition créée par Anita Berchenko. Une maison où je me sens bien et qui monte puisqu’elle vient de signer un partenariat avec France Loisirs et qu’elle sera présente au salon du livre de Paris cette année, où j’aurai d’ailleurs le plaisir de dédicacer mes deux livres. Comme j’avais encore tant de choses à raconter, comme il y avait tant d’autres lieux et festivals dont j’avais envie de parler, tant d’histoires romanesques à inventer, j’ai ensuite écrit le recueil de nouvelles Les illusions parallèles, également publié par Les Éditions du 38. Ce qui est magique, c’est que ces deux livres m’ont entraînée en dédicace dans des festivals où tout a commencé comme le festival de Deauville, et qu’ils m’ont permis de vivre de magnifiques rencontres et moments, qui eux-mêmes pourraient donner lieu à d’autres fictions. Une véritable et troublante mise en abyme !
Partager sur les réseaux sociaux