Nourrie d’influences éclectiques : Debussy, Satie, David Lynch, Björk ou Amon Tobin… la pop délavée de PATRICK WATSON tutoie les anges avec une grâce confondante. Entamée depuis près de deux ans, la tournée de ce groupe canadien qui porte le nom de son leader s’achevait au festival des 3 Éléphants. Rencontre avec le divin Patrick Watson.
Qui a eu le bonheur de plonger dans les eaux calmes et profondes de Close to paradise, le dernier album de Patrick Watson (son premier publié en France), ne peut s’empêcher de se poser cette question : qui se cache derrière cette voix d’ange ? Qui se dissimule derrière ces atmosphères magnétiques, ces chansons à la séduction instantanée et au charme mystérieux… Une éternelle casquette de trappeur vissée sur la tête, un tee-shirt fatigué passé sur un pantalon de treillis, le canadien a l’élégance brouillonne, pas étudiée pour un euro. Très sympathique, chaleureux et, qui plus est, francophone, Patrick Watson répond à nos questions avec un accent québécois très « fun ».
Patrick Watson : j’ai grandi à Québec. Mes parents sont anglophones, mais quand j’étais jeune, sans savoir vraiment pourquoi, je leur ai demandé de m’inscrire à l’école en français. Au Québec, l’état d’esprit des francophones est très différent de celui des anglophones. Depuis que je suis enfant, je me sens plus proche de cette culture. D’ailleurs, lorsqu’on a commencé le groupe, tout notre public était francophone. J’ai l’impression que les francophones tripent plus sur la musique expérimentale, les choses un peu barrées. Ils sont peut-être plus ouverts sur ce type de musique ? Mais, ceci dit, à Montréal, il y a aussi plein de groupes anglophones qui font de la musique barrée, comme tous les gars de Godspeed, du label Constellation… Il n’y pas de clivages : il y a beaucoup de groupes qui rassemblent des francophones et des anglophones. Comme Arcade Fire par exemple…
La scène musicale de Montréal est très prolifique depuis quelques années. Tu évoques Godspeed et Arcade Fire mais il y a aussi Lhasa, Kid Koala, Feist, Buck 65, Champion…
Et Amon Tobin, qui a aussi vécu à Montréal. J’ai d’ailleurs participé à son dernier disque, que j’aime beaucoup… Beaucoup d’artistes déménagent à Montréal parce que c’est une ville très dynamique culturellement, mais aussi parce que la vie n’est pas chère. Le moment le plus fort, c’était il y a environ deux ans. Il y avait alors une activité musicale incroyable. Aujourd’hui, tout le monde est parti en tournée tout le temps (rires), mais il y a encore beaucoup de groupes à découvrir à Montréal… C’est une ville cosmopolite où se mêlent plein de cultures différentes, les anglophones, les francophones… L’ambiance y est à la fois très européenne mais aussi très américanisée. J’ai visité beaucoup de villes, mais aucune ne m’a plu comme Montréal. J’aurai du mal à emménager ailleurs.
Amon Tobin que tu citais tout à l’heure a participé à l’enregistrement de ton dernier disque. Pour cet album, tu as travaillé avec de nombreux musiciens ou réalisateurs venus d’horizons très différents. Pourquoi ce choix ?
Nous autres on ne joue pas vraiment de la musique en fait : on raconte des histoires. Pour chaque histoire, il y a vraiment une ambiance particulière. Si sur une chanson, il y a une ambiance électronique, et qu’Amon Tobin peut nous aider à mieux raconter cette histoire, on fera appel à lui. Chaque musicien nous apporte une couleur, une touche qui vient servir la chanson…
Quel rapport entretiens-tu avec la culture, la langue française ? J’ai lu que, pour ton prochain album, tu envisageais d’écrire des chansons en français ?
J’ai un goût pour la culture française. Il y a beaucoup de musiciens français que j’adore, comme par exemple Satie, Debussy, Fauré… Sur mon prochain disque, il y aura peut être des chansons en français, si je parviens à écrire quelque chose d’intéressant. Sinon je me forcerai pas… C’est une langue tellement difficile à chanter. En français, il faut beaucoup plus de mots qu’en anglais pour exprimer une idée. Et quand il y a beaucoup de mots, je trouve que ça laisse moins de place à la musique. Et puis les paroles peuvent devenir kitsch tellement facilement en français ! J’ai beaucoup de respect pour les gens qui parviennent à écrire de beaux textes dans cette langue. Comme Gainsbourg bien sûr ou comme Arthur H, Lhasa… Je n’ai pas leur talent, mais avec mon français brisé, mon français bancal d’anglophone, ça donnera peut être quelque chose d’intéressant (rires).
Tu n’écris des chansons que depuis quelques années, je crois ?
Je viens plutôt de la musique instrumentale. Mais le fait de côtoyer ou de tourner avec des gens qui sont de très bons paroliers, comme Lhasa ou Elvins Perkins, m’a donné le goût de l’écriture. Ces trois dernières années, j’ai écouté beaucoup de chanteurs, pour mieux m’imprégner et comprendre leur manière d’écrire, Johnny Cash, Leonard Cohen… Pendant ces trois années, j’ai travaillé pour trouver ma façon d’écrire. Je n’ai pas encore le talent pour écrire des longues histoires. Mes chansons racontent souvent des histoires courtes, des épisodes rapides, des petits moments de la vie… et je fais des chansons avec ça. Je commence aujourd’hui à trouver mes marques. Sur le dernier album, il y a quand même quatre ou cinq chansons dont je suis fier.
De quoi parlent tes chansons ? Elles évoquent souvent les rêves, non ?
Une grande partie des idées qui sont à l’origine de mes chansons proviennent de mes rêves. Mes paroles sont tous sauf réalistes. C’est un univers souvent un peu absurde, surréaliste… Le sens de certaines chansons est parfois un peu vague, un peu mystérieux. Mes textes laissent beaucoup d’espace aux gens, afin qu’ils puissent y inventer leur propre histoire. Je ne veut pas imposer une signification, dire ce que les gens doivent penser. Chacun est libre de se faire son idée.
Tu es souvent perçu comme un musicien pop folk, acoustique… Pourtant sur ton dernier disques, il y a beaucoup de machines, de traitements électroniques…
Quand tu enregistres un instrument, une batterie ou une guitare, tu enregistres forcément l’ambiance, le son de la pièce dans laquelle tu joues. Alors qu’avec l’électronique, tu n’as que le son pur, direct de la machine. Lorsque tu mélanges ces sons électroniques avec des sons acoustiques, comme le font par exemple des gens comme Bjork ou Amon Tobin qui m’ont beaucoup marqué, tu peux créer des espaces en trois dimensions incroyables. Debussy utilisait souvent ces effets d’espace dans ses orchestrations. Mais aujourd’hui ce qui m’intéresse, c’est de créer des effets spéciaux en live, sans machines électronique. Comme dans les vieux films ou les cartoons, où tous les bruitages étaient faits à la main. On utilise déjà ces sons en live.
Comment as-tu envisagé l’adaptation sur scène des chansons de Close to Paradise ? C’est un disque très intimiste, très arrangé…
Le live, c’est vraiment une autre affaire. C’est très différent du disque. Il y a plus d’énergie en concert. La scène, ce n’est pas un disque, tu ne joues pas pour quelqu’un chez lui. La question n’est pas de rejouer l’album à la note près, mais de faire passer un feeling et de créer une ambiance. C’est la chose la plus importante pour moi : transmettre des émotions au public. On parlait tout de suite de sons électroniques : voir un batteur qui lance une dizaine de cymbales en l’air pour qu’elles retombent en faisant un boucan incroyable, ou regarder un guitariste qui joue avec un ballon gonflable, c’est quand même plus intéressant que de voir quelqu’un qui appuie sur un bouton. C’est pour ça qu’on a commencé à utiliser toutes ces techniques de bruitages sur scène.
« Nous », « on »… Tu parles souvent au pluriel. Patrick Watson, c’est un projet personnel ou celui d’un groupe ?
Je suis à l’origine du projet, mais ça n’est plus uniquement le mien aujourd’hui. Patrick Watson, c’est un groupe. Vraiment. Si l’un des musiciens partait, cela changerait radicalement le son du groupe. Quatre ou cinq chansons du dernier album ont été composées par les musiciens. Et ce sont des chansons assez importantes sur le disque. Tout le monde participe aussi à l’écriture des arrangements. On fonctionne comme un vrai groupe. Ce sont des musiciens incroyables. Je pourrais pas jouer avec un meilleur band. Même si je pouvais choisir les meilleurs musiciens du monde, je choisirai ceux-là. Ils sont extrêmement forts. Sur le disque, tu n’entends pas leur niveau, mais en live, tu comprends très vite. Tous ont des influences hyper différentes. Le guitariste vient de la musique expérimentale et du free jazz. Mon batteur est plutôt issu de l’école du jazz. Mon bassiste a joué dans plein de groupe de rock dur voir hardcore. Et moi, je viens plutôt de la musique classique.
À l’écoute de ton disque, on sent que tu accordes beaucoup d’importance au son. La production de Close to paradise est impressionnante de profondeur, de précision…
J’ai un studio à la maison et c’est moi qui ai fait le premier mix des chansons. J’ai travaillé sur chaque titre au moins une semaine, juste sur le mix, l’ambiance, les sonorités… C’est quelque chose qui me passionne. J’ai mis trois ans à enregistrer Close to paradise. J’avais le temps à l’époque. Je l’ai moins maintenant. Je suis toujours sur la route… Le prochain disque sera sans doute beaucoup plus brut, enregistré en conditions « live ». C’est bien aussi parce que ça donne plus d’importance aux compositions. C’est un bon exercice. Tu ne peux pas te cacher derrière la production. Si ta chanson n’est pas bonne, ça s’entend tout de suite. Aujourd’hui, je n’ai plus les mêmes envies qu’à l’époque de Close to paradise. Ce disque, je pouvais le voir distinctement dans ma tête. Le prochain album, je sais à quoi il ressemblera : j’ai l’image, mais je n’arrive pas encore à voir les détails.
La pochette de ton dernier album fait référence à une peinture, tes clips ont une esthétique très particulière, un peu vintage… L’image, le cinéma semblent être beaucoup t’influencer ?
Le cinéma est un des arts les plus calibrés qui soient. Mais à côté des produits formatés, il y a une place pour les choses plus aventureuses. Les « scores » (bande-son en anglais, ndlr) sont souvent vraiment intéressantes, et parfois même plus intéressantes à écouter que beaucoup d’albums. Par exemple, la bande-son de There will be blood (film réalisé par le cinéaste américain Paul Thomas Anderson, ndlr), qu’a réalisée Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead, est bien meilleure que leur dernier disque. C’est d’ailleurs pour moi l’un des « scores » les plus remarquables qu’on ait réalisé depuis la bande-son de Blade Runner. J’ai déjà conçu plusieurs bandes-sons pour des films ou des courts-métrages. J’ai fait dernièrement la trame sonore d’un film qui va sortir dans les cinémas français, je pense, et qui s’appelle C’est pas moi, je le jure. C’est vraiment un plaisir de faire ce genre de travail. Pour la production, en studio, je réfléchis souvent en terme de mise en scène, d’effets sonores… comme pour un film. Chaque chanson correspond à une scène, avec une ambiance particulière, un décor dont je peux voir les couleurs, les lumières… David Lynch est l’une de mes plus grandes influences. J’aime beaucoup sa façon d’associer des ambiances extrêmement différentes. J’ai appris, en regardant ses films, comment mélanger quelque chose de dark et de super kitsch. Ça donne des couleurs intéressantes. C’est comme la vieille histoire du film Le magicien d’Oz et de Darkside of the moon de Pink Floyd… Tu connais cette histoire ?
Euh… Non !
Eh bien, si tu regardes Le magicien d’Oz en écoutant Darkside of the moon, tu t’aperçois qu’il y a plein de correspondances incroyables, comme si le disque et le film étaient synchronisés… Après avoir fait cette expérience, avec mes potes on l’a ensuite tenté sur tous les films. On regardait tel film en écoutant un disque qui n’avait rien à voir. C’était vraiment fun parce qu’à chaque fois ça fonctionnait et ça créait quelque chose de nouveau. Ça m’a beaucoup inspiré. J’aime bien mixer des choses qui n’ont rien à voir. Mon prochain disque sera un mélange de musique répétitive à la Steve Reich (compositeur de musique contemporaine américain, ndlr) et de country. Je trouve ça fun de mélanger ces deux mondes-là !
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