Ce nom ne vous dit peut-être rien. Pourtant vos oreilles ont certainement croisé la route de cette chanteuse et arrangeuse au détour d’un festival ou d’un concert. Tentative de portrait de l’insaisissable ANNE-LAURE GUENOUX, musicienne super active qui dope par son talent nombre de projets made in 5.3.
Un soir de juin au Théâtre Les 3 Chênes à Loiron-Ruillé, un couple dans le public s’écharpe gentiment pour savoir à quelle occasion il a déjà pu entendre le nom d’Anne-Laure Genoux, mentionné dans le programme du concert « Avant le printemps » . Lors d’une prestation de la chorale punk ou bien avec Babel ou Lo’Jo ? De l’opération Tubes d’école aux multiples collaborations associant musiciens pros et ensembles amateurs, du Juke-Box Orchestra à la « recréation » du pharaonique « Atom Heart Mother » de Pink Floyd (que certains spectateurs évoquent toujours avec une larme à l’œil), la liste des projets menés par cette trentenaire stakhanoviste est longue comme un solo de Joe Satriani (l’ennui en moins).
Hymne d’AC/DC revu façon chorale ou reprise de l’album Fantaisie militaire de Bashung pour voix et fanfare de rue (son dernier projet en date avec la fanfare F’Punk), pour toutes ces aventures, son boulot pourrait se résumer à celui, souvent méconnu, d’arrangeur. Un travail qui peut prendre des formes diverses : adaptation d’un morceau existant pour un nouvel ensemble musical ou arrangement d’une mélodie toute nue habillée pour un trio jazz ou un orchestre symphonique… Un exercice de relecture que chaque arrangeur marque forcément de son empreinte artistique.
À ce jeu, Anne-Laure est passée experte et ne souffre pas de la comparaison avec les ténors du genre. Tel Joseph Racaille ou Areski Belkacem, qui en 2010 la félicitait pour son travail d’arrangement, mené avec l’orchestre d’harmonie de Laval, autour du répertoire de Brigitte Fontaine, dont Areski est le compositeur en chef depuis 40 ans. Elle, comme d’habitude, la joue modeste, et campe à merveille le rôle de l’éternelle insatisfaite. « J’apprends et je suis encore loin du compte. Après une dizaine d’années d’expérience, je commence à comprendre ce qui fait qu’un arrangement est réussi ». Le temps qu’il faut pour apprendre à simplifier, comprendre qu’une seule idée par chanson suffit. Que le fond – ce qu’on a à dire – est aussi important que la forme. Et qu’un bon arrangement tient souvent à quelque chose que l’on n’entend pas mais qui lie le tout, le rend cohérent.
Chanteuse et cheffe de choeur hors pair, elle préfère aux feux des projecteurs le rôle d’arrangeuse, dans l’ombre des coulisses. « Jouer la chanteuse, j’ai déjà donné. Ça m’ennuie. Et surtout j’ai l’impression d’avoir beaucoup plus de choses à dire quand je fais jouer les autres ». Partir d’un morceau existant plutôt que de rien. La contrainte est créative et l’exercice l’inspire : « s’approprier une chanson et l’emmener complètement ailleurs, ça me fait marrer ».
Procol Harum à la maison
Avant de débarquer en Mayenne en 2001, cette fille d’un pasteur protestant a pas mal bourlingué, de Paris à Brest, de Rouen à Saint-Nazaire (où elle a effectué l’essentiel de sa scolarité), au gré des affectations paternelles. À la maison, son père, fan de Procol Harum, joue de l’orgue et les quatre enfants fréquentent le conservatoire. Elle apprend la flûte à bec (« il n’y avait plus de place en piano et le prof était sympa »), et sera la seule de la famille à faire de la musique son métier. Un de ses frères est dans la haute finance à Singapour, quand l’autre pilote une start-up en domotique qui rayonne à l’international…
Après avoir loupé l’inscription à l’école du Louvre, elle entre en licence de musicologie à la fac, puis à l’école « Jazz à Tours » où elle suit un cursus de « chant jazz » (« pour me former en harmonie jazz et développer mon oreille »). En 1999, direction le CFMI de Rennes pour apprendre le métier de musicien-intervenant en milieu scolaire. Un job qu’elle exercera dès 2001 à l’école de musique de l’Ernée. « Au départ, je devais rester un an en Mayenne… » C’est là qu’elle commencera à écrire ses premiers arrangements, au début pour les ensembles de profs ou d’élèves de l’école. Vite repérée, elle sera ensuite sollicitée par des structures ou ensembles extérieurs.
En 2010, le conservatoire de Laval lui offre un poste « taillé sur mesure ». Parmi ses missions : l’écriture d’arrangements pour l’ensemble des orchestres et projets relevant du conservatoire. Anne-Laure y coordonne aussi les actions en milieu scolaire (plus de 800 élèves touchés chaque année) et intervient régulièrement en classe. « Cela me manquerait de ne pas être sur le terrain. J’adore les gosses, ce qui se passe avec eux. On a parfois tendance à perdre de vue le rôle social que doit jouer une école de musique ». Elle raconte ainsi comment lors du projet « Avant le printemps », elle a repéré une gamine, « issu d’un milieu très populaire », particulièrement douée et qui lui a confié son envie d’apprendre le violon. Le lendemain, elle sonnait chez ses parents avec un bulletin d’inscription pour le conservatoire…
Super speed
Bête de travail, cette maman de deux garçons abat un boulot monstre en un temps record : elle a signé en 2015-2016 près de 200 arrangements, pour le conservatoire mais aussi pour les harmonies d’Évron et de Cossé, la classe orchestre de Gorron, la fanfare F’Punk, l’opération « Avant le printemps », des projets ambitieux avec Chapelier Fou et Kyrie Kristmanson… « C’est quelqu’un d’ultra efficace, de très compétent et rapide » témoigne l’un de ses anciens collègues à Ernée. Sébastien Rousselet, de Babel, avec lequel elle a collaboré à plusieurs reprises, confirme : « Anne-Laure, c’est une fille super speed, tout le temps au taquet, hyper déterminée, qui sait parfaitement ce qu’elle veut et comment motiver un groupe ».
Notre éternelle modeste tempère : « l’écriture d’arrangements requiert d’abord de la technique, cela peut être assez mécanique comme travail… Je fais en fonction du temps dont je dispose ». Avant de confesser qu’elle s’investit davantage personnellement dans les projets les plus ambitieux artistiquement. Comme pour « Avant le printemps », où elle a arrangée 14 chansons traditionnelles collectées en Mayenne. « J’y ai mis tout ce que j’avais », souffle-t-elle. Et cela s’entend. Point d’orgue de ce petit chef d’oeuvre : le morceau « Les adieux » qui émouvrait le plus insensibles des tueurs psychopathes. Vibre dans cette chanson une fêlure, un manque, une faille, que peut-être vient combler cette pléthore de projets menés de front avec un appétit confondant ? Une interrogation à laquelle ne répondra pas notre insaisissable arrangeuse, déjà passée à autre à chose. « Adieu, ne pleure pas », comme dit la chanson.
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