Chanteur, conteur, chef de chœur… Il enchaîne les aventures extraordinaires, des écoles du Népal au Grand Rex où il jouait récemment, accompagné d’une chorale de 9 à 99 ans. Itinéraire pas ordinaire d’un explorateur qui se découvre artiste au fil de ses projets.
«Habitué » de la scène du Grand Rex, qu’il foulait pour la seconde fois en avril dernier avec les choristes de Germaine & the kids, Pierre Bouguier sortait ce printemps un disque (D’un monde à l’autre) témoignant de sa rencontre avec Matthieu Hamon et son monde hors du commun, façonné par l’autisme. Alors qu’il peaufine actuellement le premier album de son groupe Mémé les Watts, cet hyperactif, toujours entre deux spectacles, prend le temps de revenir sur quelques étapes d’un parcours déjà bien rempli.
Ton image est indissociable de ta guitare. Tu as eu ta première au berceau ?
Ah non, bien plus tard. Je n’ai pas baigné dans un milieu artistique. Mon père aime chanter, mais, enfant, je n’allais pas voir des expositions, des concerts, j’allais aux matchs de foot. Au collège, c’est le sport qui m’a tenu. Je m’ennuyais en classe et je me sentais en décalage, sans trop savoir pourquoi, avec des questionnements que j’avais du mal à partager. Je pratiquais le tennis de table tous les jours en sport études, plus le foot. C’est en écoutant un cousin jouer du djembé, à 15 ans, qu’il y a un appel de cet instrument ; il s’impose à moi. Je joue seul, beaucoup, je cherche des sons, des rythmiques… À 16 ans, je passe le brevet d’animateur Bafa et, pour mon évaluation, je choisis de transmettre une chanson africaine, on finit tous en dansant. Je découvre que je suis très à l’aise avec les enfants et réalise le pouvoir de la chanson : elle donne du plaisir, de la cohésion, elle fédère.
On m’offre ma première guitare à 18 ans. Mais j’ai deux phalanges en moins à la main gauche et quand je demande à un ami de me montrer les accords… « Celui-là, Pierre, tu ne peux pas. Celui-là non plus ! Ni celui-là… » Je laisse tomber la guitare. Le déclic se produit à Bamako où un Malien me dit : « Mais tu as neuf doigts un tiers pour jouer, mec ! » Il me montre et je me rends compte qu’avec trois accords, je peux jouer des milliers de chansons. Quand je reviens, j’ai 20 ans, je joue une à deux heures par jour, je jubile d’apprendre rapidement et de pouvoir sortir la guitare avec les copains. Depuis, elle ne m’a jamais quitté.
2007 marque la naissance de ta première création : Le voyage de Tunga, et ton projet de voyage au Népal…
En 2006, je suis parti en Inde, en tant que bénévole pour un chantier participatif dans un orphelinat et j’ai voyagé aussi dans le pays. Je reviens d’Inde avec un projet : je vais troquer des chansons. Recueillir des chansons dans l’école de mon village de Montjean et les échanger contre d’autres, collectées dans des écoles croisées sur mon chemin vers le Népal. En amont, avec l’aide du conteur Manu Grimo, je crée mon premier spectacle, inspiré par mon projet de voyage : Le voyage de Tunga. Il s’adresse aux enfants et raconte, sur le mode d’un mythe, l’histoire d’un jeune aborigène qui doit partir à la recherche de nouvelles musiques à travers le monde. Je le joue une vingtaine de fois à l’automne 2007 avant mon départ au Népal et j’attrape le virus de la scène.
Le 8 janvier 2008, me voilà à la sortie de Montjean, le pouce levé, le sac sur le dos, direction le Népal avec 500 enfants de sept écoles et sept centres de loisirs qui me suivent via mon blog. Durant le voyage, je joue Le voyage de Tunga en m’adaptant : j’ai un traducteur ou pas, là on entend les mouches voler, ailleurs ça rigole… Je fais avec les conditions, avec les traditions, avec les spectateurs.
À 23 ans, tu pars en stop vers le Népal, à travers l’Europe, la Turquie, l’Iran… Tu n’as peur de rien !
Ah si, j’ai plein de peurs. Mais j’ai dû apprendre à les dépasser. J’y ai pris goût, cela procure de la joie de parvenir à dépasser ses peurs. Grâce à mon voyage en Inde, j’ai appris à relativiser les choses, à prendre de la distance : si tu te plantes, l’ordre du monde ne va pas être bouleversé. La planète va continuer à tourner.
Ce voyage est un tournant dans ton parcours ?
C’est plus que ça, un voyage initiatique : je trouve ma voie. En jouant devant des enfants, je suis à ma place. Je passe du gars qui a toujours eu peur de déranger à celui qui apporte quelque chose et j’ai envie de devenir celui-là : un colporteur de chansons qui vit en Mayenne.
Tu précises « qui vit en Mayenne ». Pourquoi ?
J’ai vu la beauté du monde en voyage, les déserts en Iran, la jungle en Inde, la plaine du Gange, la très haute montagne et j’ai réalisé à quel point l’endroit où j’habitais était magnifique et chanceux : il y a de l’eau, des collines, des fruits, des légumes, des festivals… Je suis tombé amoureux de la Mayenne.
Ce qui explique pourquoi tu n’as pas repris ton sac à dos de globe-trotteur ?
Le voyage m’a aidé à faire tomber des barrières : je me suis rendu compte que je pouvais être à l’aise avec les enfants, comme les vieux, les personnes de toutes classes sociales. Il y a toujours quelque chose qui nous relie. Quand on m’appelle pour jouer un jour dans une maison de retraite, le lendemain dans une crèche ou dans un foyer pour adultes handicapés… Ce sont des univers, des histoires individuelles, des manières de se représenter le monde différentes. Je voyage…
De retour du Népal, tu crées ton spectacle Colporteur de chansons, qui raconte ton périple…
J’ai appris mon métier avec ce spectacle : la mise en scène, le son, la lumière, l’écriture d’un texte. Je suis un autodidacte : j’apprends en faisant, avec l’aide des autres. J’ai aussi suivi des stages de techniques du son, de théâtre, de direction de chœur… Mais, chef de chœur, j’ai appris à le devenir sur le tas, avec deux chorales : ZékéToum et ses chants du monde, et Les Chœurs ensoleillés, composée de personnes qui peuvent être isolées, en milieu rural, dont certaines ont des fragilités sociales ou psychologiques. Nous avons joué pendant dix ans un répertoire de classiques de la chanson revisités : La Tactique du gendarme, Rossignol de mes amours…
Puis arrive Huguette the power…
Une boule de neige qui se transforme en avalanche. Au départ, un seul concert est prévu pour l’édition 2016 du festival Au foin de la rue. Nous nous découvrons mutuellement : les 56 choristes dont la doyenne a 97 ans et les musiciens de Mémé les Watts, avec lesquels je joue. Six mois plus tard, nous sommes rappelés pour un concert à Ernée et j’invite Arnaud Ray pour faire un petit reportage de dix minutes sur la chorale. Arnaud m’appelle et me dit : « j’ai 42 minutes de rush, il y a une telle matière, il faut faire un film documentaire ». Au culot, j’envoie un e-mail avec une vidéo à plusieurs associations spécialisées dans le domaine de la vieillesse. Le soir-même, je reçois un e-mail : « Nous organisons la Silver nigth au Grand Rex, il faut que vous veniez ! » Quelques mois plus tard, le film est bouclé, notamment grâce au financement participatif et sera vu par plus de 5 000 spectateurs dans plus d’une quarantaine de cinémas, établissements scolaires, associations en région et ailleurs, ainsi que sur France 3 (plus de 100 000 téléspectateurs) !
Les Huguette se sentaient capables d’aller sur une scène telle que le Grand Rex ? On dirait que tu ne te fixes pas de limites, ni pour toi, ni pour les autres ?
Je leur demande parfois des choses qu’ils ont oubliées ou qu’ils ne se croient pas capables de faire. Jusqu’à la veille du premier concert, ils me disaient : « Mais demain, Pierre, au concert, on aura les paroles ? » Et je leur répétais : « Ayez confiance dans le groupe, le but, c’est de rencontrer le public, le regarder, croiser les regards ». Je préfère voir grand au démarrage et réviser les ambitions à la baisse si nécessaire. C’est parce qu’il y a cette exigence qu’ils sont obligés de se dépasser et parce qu’ils se dépassent, ils gagnent de la fierté, de la dignité. Et puis, je crois qu’on apprend plus de ses erreurs que de ses succès. J’ai l’impression de leur apporter autant quand je me plante dans la direction du chœur que quand je réussis. Cela montre que nous sommes là pour expérimenter, et donc se tromper, pour grandir, pour apprendre de la vie.
Tu travailles avec des personnes en situation de handicap, d’autres en difficulté sociale, tu donnes de la place à ceux qui sont peu visibles. Tu es devenu un personnage public en Mayenne, avec une image très positive, de tolérance…
Je n’aime pas trop le mot tolérance. Il sous-entend une position de supériorité, de surplomb de la part de celui qui dit « tolérer » l’autre. Les vieux sont là, les enfants sont là, les personnes en situation de handicap sont là, il faut faire avec… et le « faut » est sans doute de trop. Ce n’est pas une bonne résolution que je m’impose. Je ne me pose pas la question en fait. C’est la diversité du monde et elle me plaît : rencontrer l’autre tel qu’il est. Je pense qu’on ne voit pas assez la beauté des personnes âgées, ce qui explique leur absence dans l’espace public. J’ai des doutes quant à l’efficacité des discours sur les valeurs, la tolérance, le vivre ensemble, etc. Si ça n’est pas vécu, difficile de le conscientiser. Je crois davantage à l’expérience collective, artistique ou autre, que tu vas vivre dans le corps et l’émotion. C’est au fond ce que j’essaie de faire depuis le début, animer, donner vie au collectif ; pour que les différences et les regards se rencontrent, parce qu’ensemble, chacun d’entre nous devient plus grand que lui-même.
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