En studio ou en live, Thomas Ricou a accompagné un nombre incalculable d’artistes depuis ses débuts, il y a une quinzaine d’années. Alors qu’il fêtera bientôt les deux ans de son Vaka studio, cet ingénieur du son tout terrain, « d’abord là pour faire de la musique », nous fait la visite.  

 

Ce jour-là, Thomas Ricou porte un sweat sur lequel se détache, en caractères noirs sur fond arc en ciel, l’inscription : « Love wins ». Ceux qui le côtoient de près savent que ce ne sont pas de vains mots. Regard bleu qui vous écoute avec bienveillance et empathie, le jeune quarantenaire dégage une zénitude à toute épreuve. Allergique aux conflits et aux rapports de domination, il sait trouver les mots pour pacifier les tensions. Précieux dans un milieu où les egos, la pression ou le stress exacerbent vite les passions.  

Les mots, ce fut peut-être la première passion de cet homme de sons. Gamin, il voue une fascination pour l’humoriste Raymond Devos qu’il écoute tous les soirs, en s’endormant. Il en conservera un amour immodéré par les jeux de mots et les blagues plus ou moins vaseuses, débitées avec le plus grand sérieux. 

Dans la famille où il grandit, à Loiron, la musique est très présente. Chanson et variétés squattent l’autoradio parental, tandis que les frangins Ricou suivent tous les trois des cours de musique. Thomas opte pour la guitare, et se passionne pour l’instrument, qu’il bosse assidument. À 16 ans, alors que d’autres montent des groupes de grunge, lui intègre un groupe de bal. C’est là qu’il découvre le monde de la sonorisation. Révélation. Très vite, il sait qu’il a trouvé sa voie, dont il ne déviera pas. 

Au début des années 2000, un BTS Audiovisuel en poche, il apprend son métier sur le terrain, en Mayenne. « Les gens t’appellent parce qu’ils t’ont déjà vu travailler, pas pour ton cv ». Au sein des festivals et des saisons culturelles du département, puis au 6par4 (la salle de concert ouvre ses portes à Laval en 2008), il accueille les artistes programmés et les régisseurs qui les accompagnent en tournée. Une poste d’observation très instructif et un posture d’accueillant qui lui enseigne la discrétion et l’humilité, deux qualités qui définissent toujours le professionnel reconnu qu’il est devenu.  

Parfois l’accueillant devient l’accueilli, lorsque Thomas sonorise en concert des musiciens avec lesquels il a noué une complicité artistique particulière. À l’image de la relation très étroite qu’il entretient avec le duo Rouquine, formé par Nino Vella et Sébastien Rousselet. Deux musiciens dont il « fait le son » depuis 2011, à l’époque de leur premier groupe, Babel. Des frangins presque : « je les ai vu grandir et j’ai grandi avec eux », des premières parties de Johnny à l’émission télé The Artist, produite par Nagui. 

Ricou touch 

Alors qu’il poursuit ses activités guitaristiques, au sein notamment du groupe O-rudo ou pour des compagnies de danse contemporaine, la dimension artistique de l’enregistrement l’attire. Après quelques maquettes, il grave le premier album live du steel band Les Allumés du Bidon. 40 musiciens qui tapent sur des fûts en métal aux sonorités réputées indomptables, beau défi pour une première… Suivront les disques de Ba’al, les Fils Canouche, EZPZ, Pierre Bouguier, Paul Faure, Fawkes, Maen, Babel… La liste serait trop longue à énumérer.  

Le bouche à oreille fonctionne, Thomas étoffe peu à peu l’équipement de son studio mobile, et les musiciens sont de plus en plus nombreux à lui confier en tout confiance leurs chansons. La possibilité de pouvoir enregistrer à domicile, qui plus est à des tarifs très démocratiques, participe sans doute à cet attrait. Une reconnaissance qui tient surtout à la qualité des disques made by Thomas Ricou.  

Premier fondement de la “Ricou touch” : faire des disques vivants. Ici, pas d’enregistrement “piste par piste”, qui voit chaque musicien coucher séparément sur la bande sa partie respective. Chez Toma, les “prises” sont collectives, pour que soit captée l’énergie, la complicité et le plaisir qui circulent lorsque des musiciens jouent ensemble au même moment dans un même lieu. Qu’importe l’éventuel mini défaut de justesse ou de tempo, la meilleure prise est celle où vibre au plus juste l’émotion. L’expérience, et les nombreuses formations ou masterclass qu’il a suivi auprès de grands ingénieurs du son, lui ont appris qu’à la perfection froide qu’induit parfois la technologie il fallait toujours préférer la beauté, plus aléatoire et faillible, qui émane du cœur et de l’âme.  

Faire de la musique, plutôt que de la technique. C’est le second fondement de la « méthode Ricou ». Pas question pour lui de passer des heures à tester des micros pour trouver le son ultime. Ce qui l’intéresse d’abord, c’est l’artistique : accompagner les musiciens à faire le bon choix de son de guitare, interroger telle structure ou tel arrangement, parler interprétation, suggérer ici un chœur, là une partie de clavier ou une ligne de basse… Il devient le temps d’un enregistrement un membre supplémentaire du groupe (ce fameux 5e Beatles qu’incarnait le légendaire Georges Martin).  

Un studio à soi 

Ça n’est pas un hasard si le développement de l’activité d’enregistrement de ce fan absolu de Pink Floyd et Sigur Rós coïncide avec le ralentissement de ses propres projets musicaux : il met désormais son énergie et sa sensibilité artistiques au service des musiciens qu’il aide à accoucher de leurs créations, dans un climat de confiance et d’émulation.  

Son “Vaka studio”, Thomas le voit comme un “cocon”, où l’on se sent bien. Il confesse avoir accordé presque autant d’importance à la couleur des murs et à l’éclairage qu’aux aspects acoustiques, phoniques ou techniques du lieu. Ce studio, presque sans fenêtre, perdu dans la campagne lavalloise, il l’a voulu comme un espace coupé du temps et du monde, où l’on peut s’offrir le luxe de ne penser qu’à sa musique.  

Avoir un studio à soi, l’ingénieur du son en rêvait depuis longtemps. C’est le covid, et la soudaine et longue période de désœuvrement dans laquelle il a plongé le monde artistique, qui lui a permis de passer du rêve à la réalité. Thomas profite de cette parenthèse providentielle pour enclencher le projet, avec en architecte et maître d’œuvre Simon Maurice, régisseur, créateur lumières et bricoleur de génie.  

Il leur faudra 60 jours de boulot et 40.000 euros pour transformer le garage attenant à la maison de Thomas en un studio rutilant d’environ 35 m3 (sur 4 pièces). Depuis son ouverte en août 2021, le Vaka ne désemplit pas. Près de 50 albums ou ep y ont été enregistrés et/ou mixés, parmi lesquels ceux de The Haystacks, Sylvain Texier, Johannes, Grand Hôtel ou encore Émissaire, Roads ou La Croqueuse à paraître très prochainement. L’ouverture du studio joue clairement un effet déclencheur, les demandes affluent, que Thomas doit articuler avec son planning de régisseur live.  

Dans son travail aussi, il y a un avant et un après « Vaka » : passé un nécessaire apprivoisement, il mesure aujourd’hui pleinement les avantages de travailler dans son propre lieu. Certains automatismes et habitudes comment à s’installer. Et puis surtout, finis les déplacements et les temps d’installation fastidieux, terminés la nécessité chronophage et énergivore de s’adapter à chaque nouvel endroit, les moments perdus à régler d’inévitables soucis techniques et autres acoustiques ingrates… Bref, tout cela lui dégage plus de temps pour faire ce qu’il aime vraiment : de la musique, avant tout chose !

Playlist 

  1. Raymond Devos – Ouï dire
  2. Pink Floyd – Breathe (in the air)
  3. Sigur Rós – Untitled#1 – Vaka
  4. Ô Lake – Distance 
 
Chaque premier jeudi du mois à 21h sur L’autre radio, Tranzistor l’émission accueille un acteur de la culture en Mayenne : artiste, programmateur, organisateur de spectacle… Trois fois par an, Tranzistor part en « live » pour une émission en public. Au programme: interviews et concerts avec deux ou trois artistes en pleine actualité. 

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